Hautes circonvolutions occipitales
c’était conforme à toutes les prophéties
la marche immobile de l’esprit
car il fut alors dit
et moi je m’en souviens
celui qui avance trop vite
devra s’arrêter en chemin et méditer.
Or
parmi les brusques élans de l’aigle
la fuite du lièvre roux dans l’herbe sèche
les ressauts fous de la cascade
les jeunes courses du torrent
point central
autour duquel le soleil basculait
autour duquel les saisons s’affrontaient
autour duquel les jours les saisons les années
se succédaient sur le sable des plages
en butte aux morsures du doute
frissonnant spectateur de mes propres passions
j’attendais
passive chrysalide sur une feuille de houx
le bec de l’oiseau ou le superbe écueil
d’une brève journée.
C’était
conforme à toutes les prophéties
un temps de bave sèche
un vaste temps compilateur
un vaste temps de gestation.
Mes dents crissaient du sel
de tous les horizons
ma langue gardait intact
le goût de tous les fruits
celui de l’eau de toutes les fontaines.
Un vaste espoir guidait mes pas
au sein des mers profondes
c’était
conforme à toutes les prophéties
un puissant temps de souvenirs
et mon cœur conservait
chaude contre ma peau
l’odeur de mille femmes.
Alors
réponse soudaine à l’appel souterrain
des veines tendues de muscle à muscle comme des lianes
lianes sauvages perdues autant que libres
et comme elles se tordant au fiévreux choc de la sève
pareille aux bêtes longues
fuyant la colère du volcan
semblables aux agrès mal tendus d’un navire en détresse
de mes yeux
de ma bouche
et de mon front aussi
jaillirent de froids silex aux arêtes tranchantes
des arbres nus aux racines tordues
d’épais buissons d’épines vives
des roses écarlates qui saignaient goutte à goutte
au pied des croix d’acier figées dans la rocaille
et puis
surtout
éclatant de partout
des mains reptiles
des mains multiples
des mains qui s’accrochaient
des mains qui se perdaient
en étreintes monstrueuses et farouches
c’était
conforme à toutes les prophéties
un formidable enroulement de rythmes
rythme de la pluie sur mes paupières closes
divin et dur
pareil au cycle féminin.
Déluge de fin du monde
frêles plumes d’oiseaux dispersées par le vent
nulle terre
jamais
ne m’a tant fracassé
nul soleil tant dardé
ses flèches de cristal
nul grand prêtre tant fouillé
de son couteau d’obsidienne.
Me voici
à présent sous les voussures du portail
saluant du regard
les saints au garde à vous
voici que mes pas blessent
l’opaque silence de la nef
me voici
à genoux
et prêt à communier.
MAIS FEMMES
le pensez-vous vraiment
croyez-vous que j’aurais ainsi baissé les bras
si votre désertitude n’était pour moi
bien plus troublante que la mort ?
Tel un vaisseau désemparé
je flue rapide entre les lames
phalène prisonnier je fuis de tous côtés
heurtant mon front fiévreux
aux arides parois mes ongles sont brisés et j’ai meurtri mes doigts
sur les murs ondoyants de la chambre.
MAIS FEMMES
comment aurais-je pu un instant supposer
l’aveugle destruction des idoles d’argile
et le charivari des orgues ?
Comment pourrais-je voir
sombrer les équipages de mes barques de fête
et périr mes récoltes aux planches du cellier
sans jamais m’accuser
même au travers de vous ?
Cette terre qui transparait
au filtre changeant de vos regards
c’est vrai
je ne le sais que trop
ne procède de rien
le moindre des amours
ainsi qu’un pieux mensonge
s’enroule sur lui-même
recèle sous ses ors
son immuable fin.
Exil le retour vers les couches profondes
exil le mouvement circulaire des astres
dévoré par lui-même le geste créateur
éclate comme une figue.
MAIS FEMMES
gardiens bien trop farouches de notre amour immense
grandes fontaines publiques où s’abreuvent nos sens
comment pourrais-je croire que l’exil disparait
avec l’union fragile de nos corps ?
Pourtant d’aussi loin que je puisse encore guider mes pas
vers ces rêves fragiles qui naissent avec l’aurore
il ne m’appartient pas d’étouffer à jamais
les braises rougeoyantes
où réside l’espoir.
Je veux croire
que demain
peut encore s’épanouir
l’abstraite carnation où je saurais bâtir
la cathédrale à célébrer
mes propres voluptés.
Alors
ce sera moi
que l’on verra vraiment
fumer à Macao des cigares havanais.
Moi-même
bâtisseur de barrage au Mexique
collecteur de latex dans la forêt amazonienne
jouant de la trompette dans les rues de Harlem.
Moi-même avide de l’odeur pourrissante des fruits
me battant dans la rue
pour trois brins d’idéal.
Moi-même
ayant nié en moi
les vieilles prophéties
théâtre permanent
de ma propre parade
afin que si je meurs en ma splendeur entière
il se trouve quelqu’un
pour montrer le chemin.
José LE MOIGNE.
Brest, 1968.
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