Lia VAINER-SCHUCMAN, FAMILLES MIXTES, Tensions
entre couleur de peau et amour, Anacaona Editions,
2022.
Le Brésil, qui semble pourtant être le théâtre de bon nombre d'unions entre personnes de peau blanche et personnes à peau foncée et où (nous l'apprenons dans les pages de ce livre) les individu.e.s à carnations intermédiaires entre ces deux extrêmes du spectre ( "cafés au lait", basané.e.s, etc.) ne pâtissent pas des préjugés et méfiances qui accompagnent, un peu partout dans ce pays, la population afro-descendante désignées par le terme "Noirs", le racisme demeure cependant un réel problème.
Dans cet ouvrage, consécutif à l'une de ses enquêtes de terrain auprès de diverses familles des classes moyenne et pauvre habitant la grande cité de Sao Paulo dans lesquelles se rencontrent tout aussi bien le blanc net et le noir profond que d'autres nuances de teint, la chercheuse en psychosociologie brésilienne Lia VAINER-SCHUCMAN met bien en exergue les différents "masques" qu'adopte, dans la société paulinienne, le préjugé raciste anti-africain et anti-Noir, lui-même héritier d'une histoire coloniale forcément fertile en violence et marquée de domination (génocide et dépossession brutale préalable des Amérindiens, puis traite négrière et mise en esclavage d'une population africaine substantielle).
A lire ce livre, ces masques me paraissent s'articuler autour de deux types d'attitude : le racisme franc, massif, bien lourd, qui érige la blanchité en idéal d'une positivité absolue, notamment sur le plan esthétique et qui, de façon bien symétrique, dévalue totalement tout ce qui peut se rattacher à la négritude en l'associant ouvertement à tout ce qui est non-désirable, voire a-humain (laideur, saleté, bestialité, justifiant tous les rejets, toutes les insultes); une forme de racisme qui, de façon paradoxale, se voudrait non raciste, mais qui, dans les faits, "brille" par sa maladresse, son incomplétude, un racisme fils de l'aveuglement racial qui, lui, refuse d'admettre qu'il y a, au Brésil, problème de couleurs et racisme systémique. La couleur noire et, avec elle, tout ce qui a trait à la négritude, à l'africanité, sont alors niées, même chez les gens qui, à l'évidence, en sont porteurs (ce qui les empêche de les vivre pleinement). Même dans le deuxième cas, le présupposé de la "perfection", de la supériorité blanches, bien ancré dans l'Histoire et dans son séquelle direct, la société actuelle (comment ne pas y voir pour preuve, par exemple, un fait également attesté par ce livre et qui, pour ma part, m'a frappée : sur le marché matrimonial, les Brésiliennes au type afro souffrent d'être les représentantes du sexe féminin les moins recherchées par les hommes, les Noirs y compris ?) sommeille encore, à la faveur du refoulement de ce qui gêne. Car ce n'est jamais nier un problème qui en apporte la moindre solution. N'en pas parler, c'est l'évacuer. "Pas de problème noir !". On ne le voit pas. Et l'on en parle encore moins. En quelque sorte, on fait "comme si...". Où est le moyen d'y réfléchir ?
Quelque soit le cas de figure, la vérité est - et demeure - que, depuis ses sources, depuis son origine de colonie portugaise de plantations, l'idéal qui a façonné le Brésil, celui qui coule au plus intime de ses veines, voire de son ADN, de ses inconscient et subconscient et de tout ce que vous voudrez d'autre est un idéal de blanchiement et, au travers de cet ouvrage, au fil de ces divers dialogues entre l'universitaire enquêtrice et les noyaux familiaux "mixtes" auxquels celle-ci donne l'occasion de s'exprimer, il nous est fort bien donné de le percevoir. Cela "transpire".
Ainsi, à la page 39, avons-nous l'occasion de lire, en tant que titre de chapitre, une déclaration-citation imprimée en gros caractères, laquelle proclame rien moins que Ma mère a peint mon père en blanc. Quel aveu plus révélateur ?
Au Brésil, s'il est célébré (et, sans conteste, il l'est, quoique d'une certaine manière), le métissage a l'obligation, le devoir de faire "blanchir". Tout simplement parce que "Noir", c'est mal. Equivalence terrible, mais forte. Seul, le blanchiement, entreprise progressive et générationnelle dûment encouragée par le Système, vous donne accès à la véritable valeur humaine (celle qui reste indissociablement liée à la "Civilisation"), à la valeur symbolique et aux privilèges, à la considération (réels, incontestables) qui vont avec. Point de salut hors la blancheur !
Certes, c'est là tout le contraire du cruel et intransigeant idéal colonial anglo-saxon du One Drop Rule, vigoureux aux Etats-Unis, selon lequel toute possibilité d'atteindre un jour le Graal que représente la blanchité se trouve refusée même aux métis.ses qui ne comptent plus, dans leur généalogie, qu'une trace d'apport africain lointaine et invisible (ou presque invisible), en tout cas, dans leur phénotype, mais connue de la galerie. Cependant, l'idéal brésilien du métissage, tel qu'il existe, n'en fonctionne pas moins, toujours, dans un seul sens, le sens qui, de Noir, mène à Blanc, et continue donc de trahir un mépris du Noir patenté, quand ce n'est pas une aversion pour ce qu'il est sensé représenter, incarner dans le cadre du préjugé blanc colonial. Le Noir n'a sa "place" que dans la pauvreté, dans la potentielle délinquance, dans le sport (notamment le football) et dans un univers musical jugé peu raffiné, lié aux castes les plus basses. Il demeure associé à une sorte d'infra-humanité qui n'attire guère, car éminemment connotée, marquée par le "stigmate" devenu inconscient de l'esclavage ( le comble du rabaissement, de la domination subie). Il en va d'ailleurs ainsi, plus ou moins, sur l'ensemble de la planète, où, depuis le XVIe et surtout les XVIIIe et XIXe siècles, la vision euro-coloniale a amplement façonné les esprits et imprimé sa marque à mesure qu'elle mondialisait le globe en faisant taire les voix de toutes les autres cultures, qui avaient le malheur d'être moins puissantes.
Pour l'auteur, la disparition du racisme systémique au Brésil passe obligatoirement par le creuset des unions mixtes ET (n'oublions surtout pas le "ET", car l'union mixte, si elle est nécessaire, n'est, comme nous l'avons vu, pas suffisante) par la cristallisation, à l'intérieur de ces dernières, de liens affectifs suffisamment proches, forts, intenses et sincères pour en rendre les membres (parfois de couleurs et de phénotypes très divers) capables non seulement de "vivre avec", mais encore de "ressentir avec". Il n'est pas de véritable rapprochement, de véritable compréhension qui ne passe par le ressenti profond, viscéral de l'empathie, cette précieuse faculté qui vous permet de vous mettre à la place d'un autre.
Comme l'auteure le souligne si bien à la page 136 de son livre, Les témoignages nous montrent que ce n'est pas dans la couleur des personnes que se trouvent les conditions pour une posture antiraciste, mais bien dans la reconnaissance des privilèges de la blanchité dans l'empathie pour la douleur de l'autre, dans la lecture quotidienne des pratiques racialisées [...]
Oui, le métissage a un rôle à jouer dans les conflits raciaux. Mais seulement quand il débouche sur certaines prises de conscience.
P. Laranco.
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