jeudi 7 novembre 2013

Un magnifique extrait du dernier roman de Umar TIMOL (Île Maurice), " Le Monstre".



Quand il entend les rumeurs de la lumière quand il 

entend l’explosion il sait qu’il doit s’en aller rien 

ne peut rien ne doit l’arrêter il sait qu’il doit partir courir il sait qu’il doit s’inscrire dans la vitesse il ne doit se rappeler de rien il doit aveugler son passé tout détruire il ne doit rester rien il doit courir il doit courir plus rien ne l’arrêtera désormais il entend l’appel de la lumière il sait que la lumière est là-bas loin là-bas il sait que la lumière l’attend qu’elle n’attend que lui il sait que l’Ombre l’a un jour vaincu que l’Ombre l’a un jour possédé que l’Ombre a un jour transfiguré le monde mais l’Ombre n’est plus il se met à courir il n’a jamais couru aussi vite au fond il n’est plus un corps il n’est plus un esprit il n’est plus un être humain il n’est plus un monstre il n’est plus qu’une volonté celle d’atteindre la lumière il sait que la lumière l’attend il ne sait pas d’où elle  vient si elle est lumière d’une nouvelle apocalypse ou si elle est lumière d’une nouvelle ère il ne sait pas mais peu importe tout ce qu’il sait c’est que la lumière l’attend  il en est certain la lumière ne ment jamais alors il se met à courir il enjambe les rivières s’enfonce dans les lianes écartèle les forêts rien ne peut l’arrêter rien ne doit l’arrêter il court vite de plus en plus vite en lui défilent des images sans doute les yeux de sa femme et de ses enfants sans doute les yeux de ceux qui sont morts sans les vestiges de la beauté défunte mais peu importe il n’est ni un être humain ni un monstre il n’est plus qu’une volonté une volonté qui se destine à rencontrer la lumière il sait que la lumière l’attend et quand il l’aperçoit à l’horizon il pousse des hululements de joie il a envie de crier fort plus fort cette lumière est splendeur elle ne se contente pas  de fracturer le ciel elle est le ciel elle invente et parachève le ciel elle est partout elle s’élance envahit ses moindres recoins toutes ses stigmates il est à bout de souffle mais il doit courir il court toujours plus vite il ne doit pas s’arrêter il n’a jamais vu ça cette lumière elle est féroce emplie de violence et emplie de fragilité et elle s’avance bientôt il ne restera plus qu’elle le monde cessera d’être les éclosions de sang les velléités des ombres l’armature des cadavres tout ce qui a été dit fait depuis l’aube des temps disparaîtront tout disparaîtra il ne restera plus rien il le sait et il court il court  de plus en plus vite la lumière l’attend elle est là-bas drapée dans  tous les voiles de sa beauté il a besoin de cette lumière il n’est ni homme ni monstre il n’est plus que cette volonté qui poursuit la lumière il doit s’accoupler avec cette lumière il le sait il ne peut faire autrement et quand il s’en rapproche il lui pousse des ailes il se sent si fort si puissant il se met à voler il vole de plus en plus haut la lumière est désormais à proximité et cette lumière se met à calciner sa peau mais il ne souffre pas il ne peut pas souffrir pas maintenant car il sera bientôt dans la lumière il voit un instant là-bas la petite créature elle est venue elle le regarde s’envoler elle a un sourire aux lèvres et elle lui dit de s’en aller va-t’en va-t’en vole et il sait qu’il ne doit pas s’arrêter il ne peut pas s’arrêter et il sent que la lumière pénètre son corps ses veines ses artères la lumière est en lui la lumière pulse en lui il est dans un lieu lieu de l’au-delà au-delà de toute beauté de tout langage de tout désir de toute haine il y est ancré et la lumière se met petit à petit à fragmenter son corps la lumière traverse  son corps la lumière est en lui la lumière coupe son corps la lumière disperse tout ce qu’il y a en lui il est désormais dans la lumière il est lumière et son corps se disperse ses atomes se dispersent il est lumière il est lumière lumière de l’apocalypse ou lumière de la renaissance nul ne le sait mais il est lumière lumière lumière.




Umar TIMOL ,

in Le monstre, L'Harmattan, 2013.


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