Débat à BazEkri20
Emmanuel Richon : ” Créons encore plus en créole."
S’il y a beaucoup de recueils de nouvelles et de poèmes, et des pièces de théâtre en langue créole, il n’y a pas beaucoup de romans dans cette langue. Car, hormis Kan montagn pran dife de Renée Asgarally, Misyon Garson de Lindsey Collen, et Robis, le premier polar en créole, le manque de romans se fait sentir.
Et Emmanuel Richon, lui-même auteur et directeur du Musée Blue Penny, est d’avis qu’il faut créer encore plus dans cette langue. Créons nos propres classiques. Si certains pensent qu’il faut traduire les grands textes littéraires, à un moment il faut surtout penser à la création de nos propres récits. Pour moi, il n’est pas préférable de traduire des textes en anglais ou en français. Car les gens vont s’identifier plus aux textes originaux, et non à la langue de traduction. De plus, celui qui traduit gardera toujours des restes de sa pensée « originelle ».
Il dit avoir compris cela quand j’ai écrit « Langaz kreol, langaz maron » et aussi quand j’ai travaillé sur la traduction de poèmes de Baudelaire, avec ma femme. De plus, j’ai remarqué qu’il y aura toujours une lutte incessante pour contester le bien-fondé du créole. Ainsi, ceux qui disent que le créole n’a aucune « utilité » en milieu scolaire sont ceux-là mêmes qui croient que « kreol pa servi narien ». Ce côté « utilitariste » ne tient pourtant pas debout. Et l’exemple concret est l’Islande, pays de 650000 habitants. Qui valorisent leur langue maternelle. Nous sommes dans la même situation qu’eux. Et le créole est le ciment qui unit les Mauriciens. Si on persiste à dire que cette langue « pa servi narien », c’est cruel.
D’ailleurs, il déplore que ce soit toujours le cas, alors que l’ADN de chaque Mauricien est passé par cette langue. Et si on pense que le créole n'est pas « utile », pensez aux chanteurs de séga, dont beaucoup ont gagné leur vie grâce à cette langue, et même fait le tour du monde en représentant le pays à l’étranger. D’ailleurs, je ne serai pas devenu un vrai Mauricien si je n’avais pas connu le créole.
Pour se débarrasser de cette perception « d’inutilité », Richon, qui intervenait à BazEkri20, rue Berthaud, Quatre Bornes, cite
le livre de Daniel Lauret, intitulé "Le créole de la réussite", et paru aux Editions du Tramail. Et où il postule que cette langue ne peut pas toujours être associé à l’échec. C’est un langage de la réussite. C’est nous qui perpétuons cette auto-dépréciation, qui continue le mépris de soi. Et c’est ce raisonnement qu’on infiltre dans la tête de nos enfants. Il faut donc inverser la négativité, et se dire que la langue créole peut nous aider dans notre vie de tous les jours. Laissons ceux qui pensent autrement à leurs propres négations.
Le directeur du Musée Blue Penny, attentivement écouté par l’assistance, cite aussi l’exemple de ma fille, qui parle aujourd’hui six langues, et qui a appris le créole depuis la France. Elle a étudié en Russie, et je peux dire que l’apprentissage du créole l’a aidé dans son cheminement académique. De citer aussi Georges Castera, écrivain Haïtien très connu qui avait écrit " De la difficulté d’écrire en créole". Et où il met en garde contre ceux qui
« nagent » vers la langue de traduction, quand ils parlent d’une autre langue. En fait, les structures naviguent vers cette autre langue. Et cela se voit pour le créole, où ceux qui le parlent s’approprient le français. A l’époque je pensais que l’oraliture c’était de la littérature. Et que cela passait par la traduction.
Mais quand j’ai fait « Les poèmes mascarins de Charles Baudelaire », je me suis rendu compte que le créole avait son propre registre, et qu’il était temps de passer à la création. La traduction a été une étape. Maintenant il nous faut aller vers la création. Pourquoi on n’écrirait pas des romans en créole de 250 pages ? Je vois que les « Cahiers d’un retour au pays natal » d’Aimé Césaire sera bientôt traduit en créole. Or, Césaire lui-même n’a jamais écrit en créole. Il n’écrivait qu’en français, pour lancer le mouvement de la Négritude. Donc quelle est la pertinence de le traduire en créole ? Castera a raison de penser qu’il y a le risque de s’enfermer dans la prison de la traduction. Qui ferait encore croire que la langue créole a ses limites. Alors qu’elle a maintenant sa grammaire, son lexique, son dictionnaire.
Flavia Doherty-Bigara, Joyce Veerasamy, Issa Asgarally, Laura et Christina Nellan, Mala et Rajendra Toussaint, entre autres, ont questionné l’intervenant. Notamment sur l’enseignement prochain du créole au HSC, sur la traduction des classiques pour les rendre accessibles aux enfants, dira Flavia. Joyce Veerasamy a suggéré qu’une lettre soit écrite au gouvernement, pour que le créole soit introduit au Parlement. Chose qui deviendra cependant réalité puisque les Standing Orders ont été traduits en créole. "Ledikasion Pu Travayer " a fait ce travail.
Sedley ASSONNE.
Source : Sedley ASSONNE.
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