Si je prends la plume aujourd’hui, c’est pour vous interpeller au sujet du projet de loi Asile et immigration qui va être discuté au Sénat à partir du 18 juin, car celui-ci constitue une grave atteinte au droit d’asile en France.
Il y a deux ans, avant d’arriver en France, j’étais chroniqueuse pour une chaîne de télé nationale afghane et mère d’une petite fille. Aujourd’hui, j’ai 29 ans, ma fille a 6 ans, et je vis avec elle dans un hôtel social en région parisienne.
J’ai tout quitté pour venir ici, en raison des menaces des talibans que j’ai subies après la présentation d’un de mes projets de reportages sur la condition féminine en Afghanistan. Si j’étais restée là-bas, j’aurais été violée, lynchée, fouettée, emprisonnée ou même tuée. Ma fille et moi sommes alors parties sur les routes pour un long, dangereux et coûteux périple, à la merci des passeurs. En Pologne, j’ai été contrôlée par des policiers qui ont pris mes empreintes avant de nous ordonner de quitter le pays sur-le-champ.
J’ai décidé alors de me rendre en France, qui représentait pour moi le berceau des droits humains. Cruelle désillusion. Dès notre arrivée, nous avons dormi à la rue avant d’être mises à l’abri dans un hôtel social, loin de tout et infesté de punaises de lit, où je n’avais aucune possibilité pour nourrir ma fille.
Après quatre mois d’attente, j’ai enfin obtenu un rendez-vous à la préfecture afin d’enregistrer ma demande d’asile, bien que la loi exige normalement un enregistrement en trois jours. J’ai appris alors que je me trouvais sous le coup de la « procédure Dublin ». Ce règlement européen oblige les personnes à déposer leur demande d’asile dans le premier pays de l’espace Schengen où leurs empreintes ont été enregistrées. À cause de cette procédure, je n’ai toujours pas pu demander asile en France, après une année passée ici. Tous les jours, je vis dans la crainte d’être renvoyée en Pologne, où j’ai très peu de chance d’obtenir une protection car, comme l’Allemagne ou la Finlande, la Pologne considère l’Afghanistan comme un pays « d’origine sûre », alors que les violences n’y ont jamais cessé. En témoignent les trois attentats meurtriers perpétrés là-bas ces dernières semaines.
Contrairement à ce qu’annonce le gouvernement, la loi Asile et immigration va détériorer les droits et les conditions de vie déjà très difficiles de celles et ceux qui, comme moi, demandent refuge en France.
Après avoir donné les pleins pouvoirs aux préfets* pour expulser les demandeurs d’asile dublinés sans même avoir besoin d’émettre un arrêté de transfert avec la loi du 20 mars 2018, ce texte entérine désormais l’enfermement des enfants en centre de rétention, même s’ils sont âgés de quelques semaines ou quelques mois, accompagnés de leurs parents. Sont ainsi considérés comme des délinquants des personnes, hommes et femmes, parfois parents de jeunes enfants, qui n’ont pourtant commis aucun délit, et qui tentent de sauver leur vie et celles de leurs proches.
Au nom des droits humains qui m’ont conduite jusqu'à votre pays, je vous demande de faire tout en votre pouvoir pour arrêter cette loi et pour faire valoir un véritable accueil des personnes exilées !
Parlementaires, je vous demande, s’il vous plaît, de vous opposer à la loi Asile et immigration.
Citoyennes et citoyens, élevez vos voix pour l’empêcher de passer.
Si l’exil est une souffrance, l’accueil est un devoir, un droit, et peut devenir une chance y compris pour la société qui accueille.
*Loi du 20 mars 2018 qui permet aux préfets d’assigner à résidence et de mettre en rétention les personnes dublinées avant même d’avoir émis un arrêté de transfert (ce qui pouvait prendre jusqu’à 6 mois précédemment).
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