Le capitalisme tout puissant semble avoir trouvé un moyen suprême et imparable de mater toute velléité d'opposition et de mobilisation contraire en nouant une alliance décisive, massive avec la psychologie. Cette alliance qui, dans cet ouvrage, nous est décrite en long, en large et en travers porte un nom : la pensée positive, laquelle vise la quête - exclusivement individuelle - du bonheur.
Qui n'en a pas ouï parler (surtout sur les réseaux sociaux) ?
En parfaite adéquation avec les buts qui sont ceux de la forme contemporaine du capitalisme, le néolibéralisme, elle nie la dimension collective et sociale pourtant essentielle à l'Homme pour casser (définitivement, l'espère-t-elle) le sentiment de relation et/ou d'appartenance à quelque structure sociale que ce soit (hormis la culture d'entreprise), sous des dehors riants et tentants : le bien-être, la résilience, l'adaptation, l'espoir, le fun, le pardon, l'empathie, qui masquent, dans les faits, la stimulation effrénée du nombrilisme et de la compétition la plus féroce, voire de l'indifférence à l'autre et de la non-conscience de plus en plus générale, chez les "masses", des lois souveraines du marché qui sont une forme de dictature.
Et figurez-vous que ça marche ! Depuis l'aube du XXIe siècle, des penseurs dont, pour ma part, j'ignorais totalement l'existence (les principaux, les fondateurs se nommant SELIGMAN et LAYARD) infiltrent massivement les milieux de l'entreprise, du pouvoir politique, des grandes écoles à technocrates et même, de l'université, principalement dans le monde anglo-saxon. Mais chacun sait que le monde anglo-saxon néolibéral dicte désormais sa loi à toute une planète "mondialisée" et de plus en plus aux mains de la technocratie, garnie d'oripeaux (de masques ?) "démocrates" et humanistes.
Il faut lire Happycratie d'Edgar CABANAS et Eva ILLOUZ, l'un psychologue, l'autre sociologue. Vous y comprendrez que la thérapie positive est un fausse science. Elle détourne les jeunes générations de l'action politique et de l'action sociale (ainsi qu'on le voit en constatant, entre autres, ce que les journalistes français nomment à tour de bras la "dépolitisation" et "le déclin des syndicats"). Elle postule que nous (en tant qu'individus et uniquement en tant que tels) sommes seuls responsables de notre propre sort (faute d'efforts, d'adaptation, de capacités résilientes, de volonté, de motivation, de force de caractère, d'amour de soi-même) et que, par conséquent, la réussite, ça se mérite. Elle inonde les librairies de ses nouvelles et innombrables bibles de recettes-miracle qui se prétendent, pour une bonne part, issues des récentes investigations dans le domaine des neurosciences et capitalise sur l'efficacité (au demeurant réelle) des thérapies cognitivo-comportementales en matière de traitement de certaines perturbations mentales (par exemple, la dépression).
Des années durant, nous avons vécu sous la coupe de la psychanalyse, elle aussi, déjà, extrêmement focalisée sur l'individu intérieur et, de surcroit, totalement infondée au plan scientifique.
Nous voici à présent dans les griffes d'une autre forme - tout aussi sournoise - d'idéologie au service du système marchand et bourgeois qui, elle non plus, en aucun cas, ne se présenterait comme telle.
Heureusement que les nazis et les staliniens ne croyaient pas en la psychologie. Elle est en effet mille fois plus efficace que la propagande, et même que la terreur.
P. Laranco.
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