mardi 26 mars 2024

Sedley ASSONNE, écrivain et journaliste mauricien, vous présente une écrivaine réunionnaise et "EGERIE CREOLE", Céline HUET.

 




Portrait :
Céline Huet, égérie Créole.



Quand on a eu Boris Gamaleya pour professeur de français, le chemin est tout tracé pour vous orienter vers l’écriture. C’est ce qui est arrivé à Céline Huet. Mais si Gamaleya enjolive le français, le « tropicalise » même, son élève ne savait pas encore que sa langue maternelle, le créole, pouvait aussi accoucher de beaux mots. Mais puisque tout est écrit, ce que devait être le destin se réalisa le plus naturellement quand ses parents déménagèrent de Saint-Pierre, où elle est née, pour s’implanter au Chaudron de Saint-Denis. C’est dans ce feu doux citadin qu’elle prend alors conscience de cette langue qui l’habitait.
« Je suis née à Saint-Pierre à Tanambo, mais lorsque j’avais 5 ans mes parents ont déménagé à Saint-Denis, au Chaudron, un quartier qui m’a façonnée et pour lequel j’ai un attachement fort. J’écris depuis 1977, j’étais au collège Les Alizés, mon professeur de français, le poète Boris Gamaleya, a su m’intéresser à la poésie et à l’écriture. Mais en français, car j’ignorais alors que l’on pouvait écrire en créole. Personne ne m’interdisait d’écrire en créole, mais cependant, quand j’étais seule dans ma chambre pour écrire, je changeais automatiquement de langue, je passais au français, alors que le créole m’habitait, mes parents et mes camarades ne parlaient que créole. A la maison et dans la cour de l’école je n’entendais que le créole, en classe les professeurs parlaient français, ce qui fait que, de peur de mal dire, j’ai passé toute ma scolarité pratiquement sans dire un mot en classe. »
Le créole, soit. Mais quand il n’y a pas de livres chez soi, comment faire pour s’y plonger ? « Chez nous il n’y avait pas de livres, cependant mon grand frère avaient des camarades, qu’on appelait « marmailles livres » et qui lisaient des bandes dessinées, Tarzan, Zembla, etc (en noir et blanc). Ils s’échangeaient leurs livres. Ce qui fait que j’ai eu la chance de contenter mon envie de lecture de cette façon, et je lisais en cachette, car lire était un peu mal vu, il ne fallait pas s’évader dans les livres mais s’occuper des corvées à faire à la maison. Corvées que j’esquivais en me cachant pour lire. Je dois dire que mes parents ne m’ont jamais défendu de lire ou d’écrire, mais les voisines faisaient des réflexions et s’inquiétaient de ce que j’allais devenir plus tard, moi qui n’aimais pas passer le balai et qui m’intéressait à des futilités, comme lire et écrire, ce qu’elles trouvaient moins productif que de se dépenser aux corvées.
La bibliothèque du Chaudron étant à deux pas de chez moi, j’ai voyagé avec grand plaisir dans toute la collection bibliothèque rose et verte, une manière de sortir de mon quotidien difficile, mes parents étant en instance de divorce, à l’époque ma mère buvait et était en dépression. Je découvre alors la poésie grâce à mon professeur, et cela a été comme la lumière qui manquait dans ma vie. Ça m’a aidé à supporter mon quotidien, je vivais alors dans un monde parallèle où la misère ne m’atteignait plus. Je me réfugiais dans ma chambre, dans une bulle, pour écrire des poèmes, des nouvelles, et même une petite pièce de théâtre que j’ai retrouvé dans mes cartons, plus tard. J’écrivais comme on respire, tous les jours je noircissais des feuilles de cahier. »
Céline avoue que « si je parle créole tous les jours, j’écris donc, bizarrement, en français, et cela ne me choque pas. Arrivée au Lycée, je découvre que j’ai une langue, que cette langue n’est pas le français dont les mots me transportent tant, et qui est ma seule façon de m’exprimer, par écrit. Je découvre les textes de Daniel Honoré, j’ai l’impression qu’il me connait tant ses textes font écho en moi, et je décide alors, — j’ai une vingtaine d’années, — d’écrire en créole comme Daniel Honoré, puisque les mots créoles ont de la valeur, ils sont dans des livres, et je constate qu’ils peuvent décrire le monde autour de moi, faire rire, pleurer, exprimer l’essentiel de ce que j’ai à dire. Mes premiers textes en créole datent donc du début des années 1980. A cette époque, une association, l’Udir, organise des concours de poésies, j’y participe tous les ans dans les deux langues, mes textes sont primés ( Prix Albany) et je commence à être publiée à côté de grands noms, comme Albany, Mgr Aubry, Azéma et bien d’autres. De cette époque, j’ai aussi reçu d’autres Prix (Prix Grand Océan, Prix Cyclone Production, Prix de la nouvelle du Crous). »
Aujourd’hui, Céline Huet est une auteure reconnue à la Réunion. Et comme elle le souligne, "mon œuvre est assez large, j’ai publié des contes pour la jeunesse chez Auzou (« Gardien Bassin Bœuf », « Golète la pèsh ») ou Orphie (« Lapin dans le cyclone »), mais aussi pour un public adulte avec d’abord « Maloya pour la mer » en 1989, un recueil de poésie et de nouvelles dans lequel se trouvent mes premiers poèmes en créole, puis « Karèm kozé » chez Surya, un recueil de 77 fonnkèr écrits sur une période de 20 ans, des fonnkèrs chez l’Udir quasiment tous les ans de 1985 jusqu’en 2019, des nouvelles « Bises et bisbilles » chez l’Udir, traduit par Annie Darencourt, recueil qui a été nominé pour le Prix RFO du livre en 2010. D’autres textes ont été publié par l’Udir, « Kapkay marmay » (nouvelle), Ti Jean et autres contes (contes).
J’ai aussi participé à deux recueils de nouvelles collectifs, « Nénénes porteuses d’enfance », chez Pétra Editions, et plus récemment « Belles éparses », chez Orphie Editions. Deux « Lexikréol » francais/créole, l’un chez Surya Editions, l’autre chez Orphie. L’idée d’écrire le lexique créole m’est venue en traduisant un texte de l’auteur Jean -François Samlong « Noël au pays de grand-mère Kalle », deux recueils de 366 pensées en créole chez Orphie, dont 366 pensées, "Démaliz lo kèr", primé » (Prix Flamboyant).
Des nouvelles dans « Lettre de Lémurie » 2 et 4, aux côtés d’auteurs reconnus de la zone Océan Indien, ce qui fait ma fierté. Une nouvelle dans l’excellente revue Indigo (De clous, de papiers, des souvenirs), dans laquelle je donne quelques indications non fictives sur mon existence.
J’ai commencé à écrire sur l’histoire quand je me suis rendue compte que l’école ne m’avait rien appris à ce propos et que je ne connaissais pas l’histoire de mes ancêtres. En écrivant, j’apprends mon histoire. J’ai écrit sur les esclaves de Saint-Leu « Dann kèr la révolte », un texte qui a reçu le Pri Konpliman au concours Lankréol. Et J’ai reçu le Pri LanKréol 2015 pour mon texte qui évoque mon enfance dans le Chaudron « In zourné déor ».
"J’ai mis 20 ans pour écrire et réécrire mon roman « La Badine des fous », histoire qui se vit au plus près des esclaves et que j’ai entamée pour découvrir et vivre l’histoire de mes ancêtres dont je ne connaissais que le qualificatif d’esclaves pour les décrire. Ce roman a eu le Prix Découverte au Salon du Livre Réyoné, à Portail Saint-Leu.
Et neuf mois pour écrire mon autre roman, autour du Pénitencier de l’ilet, à Guillaume, toujours écrit pour apprendre mon histoire, qui a été primé au Salon du Livre Réyoné, à Portail Saint-Leu, Prix Flamboyant. Mes deux romans ont été publiés aux Editions du 20 Décembre.
J’ai fait la traduction du livre « Bienvenue petit bébé » de Jacques Luder qui a reçu le Prix Premières Pages, et en 2023, j’ai reçu le 2ème prix au concours Premières Pages pour « Ti shomin, gran shomin », illustré par Florence Lauret.
J’ai traduit quelques auteurs dont Isabelle Hoarau avec « Tapkal dans les nuages », aux Editions du 20 Décembre et Eloi Julenon « Le préfet noir », puis « Niama, princesse esclave », aux Editions Orphie, et en 2023 « Dindin le Dodo », de François Seine.
J’ai aussi participé l’année dernière à l’aventure au féminin avec la revue Fan(m) zine de Julie Legrand dont le thème est la mue, femme à la peau de serpent.
Si j’ai beaucoup écrit en créole, j’ai recommencé à écrire en français après avoir participé à plusieurs formations d’écriture organisées par l’Udir en partenariat avec les Editions Gallimard, une formation qui m’a donné un second souffle et m’a fait prendre conscience de mes défauts et de mes qualités littéraires."
Elle a aussi « beaucoup écrit de poésie, dans des recueils collectifs de l’Udir, des éditions K’A dans Rougay lo mo, Kinz an K’A, et plus récemment dans l’anthologie Bacchanales n° 67 : « La barbe maï », anthologie de la poésie réunionnaise des origines à aujourd’hui, l’infini insulaire, ni mausolée n’est une île ni mot isolé, et dans mon premier livre à mon nom « Maloya pour la mer » en 1989, (textes en français et créole), puis 77 fonnkèr dans « Karèm kozé » uniquement en créole donc, et qui reprend mes textes sur une période de 20 ans.
Mes textes ont été chantés ou/et mis en musique par le groupe Mascareignas, par Patricia Philippe, Natacha Tortillard, Amélie Burtaire (ma fille), Micheline Picot, Tania Boristhène, Joël Manglou, Dominique Mingui, Kaloune, et j’espère pourquoi pas, dans les temps qui arrivent, écrire pour des artistes. »
Céline a pour projets immédiats « la parution très prochainement d’un nouveau recueil de 366 pensées, « Diguiligue lo kèr », avec Jérémy Hubert comme traducteur, et Florence Lauret comme illustratrice, et pour la fin de l’année 2024, la parution d’un jeu de société autour de la langue créole, pour faciliter son apprentissage. "J’ai d’autres projets pour l’année d’après, mais je préfère ne pas en parler car c’est loin dans le temps. ".








Sedley ASSONNE.

























Biographie de Céline HUET.

Née en 1963 à Saint-Pierre de La Réunion, comptable, elle a publié dès 1982 en poésie jusqu’en 2005 dans de nombreux recueils collectifs aux Éditions UDIR et aux Éditions K’A. Nombre de ses textes ont été mis en musique et chantés par le groupe Mascareignas, Joël Manglou, Dominique Mingui, Natacha Tortillard, Patricia Philippe, Judith Profil-Kaloune, Amélie Burtaire, Tania Boristhène.



Œuvres principales :

- Maloya pour la mer (poésie et nouvelles) Édition Réunion, 1989.
- Kapkap marmay (conte) Éditions UDIR, 2001.
- Ti Jean et autres contes (contes) Éditions UDIR, 2006.
- Bises et bisbilles (Dalonaz é shamayaz) (nouvelles), Éditions UDIR, 2010
(nominé pour le prix RFO du livre en 2010).
- Karèm Kozé (Fonnkèr), Surya Éditions, 2010.
- Zarlomo (catalogue de mots français/Kréol), Surya Éditions, 2015.
- Le LexiKréol (lexique de mots français/Kréol), Éditions Orphie, 2016.
- Ti-Jean i trouv in dodo (conte), Éditions AUZOU, 2017.
- Gardien Bassin-Bœuf (conte), Éditions AUZOU, 2017.
- 366 Pensées Démaliz lo kèr, Éditions Orphie, 2018 - Prix Flamboyant 2019.
- Golète-la-pèsh (conte), Éditions AUZOU, 2019.
- La Badine des fous (roman), Éditions du 20 Décembre, 2019 - Prix Découverte 2019.
- 366 Pensées Anloule lo kèr, Éditions Orphie, 2021.
- Artémis a disparu (roman), Éditions du 20 Décembre, 2021 - Prix Flamboyant 2021.
- Lapin dans le cyclone (Lapin dann doudvan) Éditions Orphie, 2021.

Contes et nouvelles (recueils collectifs) :
• « Indiscrétion » dans Je reviens d’une île, Éditions UDIR, 1988.
• « Monn ti bèkroz » et « Pou in poignié pèrl koray » dans Rimeurs slameurs et autres rencontres, Éditions UDIR, 2008.
• « Lo promié Papa Noèl » dans Noël au pays de grand-mère Kalle, Éditions UDIR, 2010.
• « Grandiab la fèss an lor / Grand diable la fesse en or » dans Contes et croyances populaires de La Réunion, Éditions UDIR, 2015.
• « Le boul dofé / La boule de feu » dans Contes et croyances populaires de La Réunion, Éditions UDIR, 2017.
• « La goutte d’eau » et « La face cachée » dans Nénènes porteuses d’enfance, Éditions Pétra, 2017.
• « Les pleurs du tamarinier » dans L’Encrier Renversé/UDIR, 2018.
• « Lamourèz lo mo » dans Les mots d’une île à l’autre, Éditions UDIR, 2018.
• « Derrière la guerre, l’espoir » dans Lettre de Lémurie #2, Editions Dodo Vole, 2019.
• « De clous, de papiers, des souvenirs » Revue Indigo, 2021.
• « La double parenthèse » dans Lettre de Lémurie #4, Editions Dodo Vole, 2021.
• « Bonheur en friche », « Le voyage de la goutte d’eau » et « La somme de nos quiproquos » dans Belles éparses, Éditions Orphie, 2023.
• « La muette » dans Le fan(m)zine, revue de création littéraire et visuelle, 2023.

Traductions :
- Noèl Granmèr Kal (Le noël de Grand-Mère Kalle de Jean-François Samlong) Éditions UDIR, 2010.
- Madame Flavigny (Madame Flavigny de France-Line Fontaine) Éditions UDIR, 2015.
- Sandragon voiyazèr (Le sandragon voyageur de Peggy Loup Garbal) Éditions UDIR, 2015.
- Kontan oir aou ti bébé (Bienvenue petit bébé de Jacques Luder) Éditions Orphie, 2016 - Prix opération Premières Pages.
- Venante (Venante de Laurence Toussaint) Éditons UDIR, 2017.
- Éloi Julenon, lo préfé Noir (Éloi Julenon, le préfet Noir de Isabelle Hoarau) Éditions Orphie, 2017.
- Tapkap, le royaume des nuages de Isabelle Hoarau, Editions du 20 Décembre, 2021.
- Lo lou té i rèv loséan (Loup qui rêvait d’océan de Orianne Lallemand) Éditions Auzou 2021.
- Niama, Princesse esclave de Isabelle Hoarau, Éditions Orphie, 2022 (Prix Vanille 2023).
- Dindin le dodo de François Seine, Éditions Le Pré du Plain, 2023.

Poésies (recueil collectif) :
Bacchanales n° 67 : « La barbe maï », Anthologie de la poésie réunionnaise des origines à aujourd’hui, l’infini insulaire, ni mausolée n’est une île ni mot isolé.
Éditions Udir : Créolie, Ile-Femme, Poèmes d’elles, Poèmes pour le millénaire, Grand Livre d’Or de la Poésie Réunionnaise, Vers d’autres Iles, Les Iles rebelles, Les mots d’une île à l’autre, Dann galé lavé lèspoir.
Éditions K’A : Rougay lo mo, Kinz an K’A.


Prix et distinctions :
Mention spéciale du jury pour « lodèr la mèr », recueil de poésie, concours Prix Grand Océan, 1998. Mention spéciale du jury pour « la muzik lo mo », recueil de poésie, concours Prix Océan Indien, 1999.
Lauréate du concours « Mon pli zoli parol lamour », Cyclone Productions, 2003.
Lauréate du concours de nouvelle du Crous, « le secret du grand tamarinier », 2003.
Mention Koudpous du Prix LanKRéol 2012, catégorie nouvelle (Diguiligue la vi).
Mention Konpliman du Prix LanKRéol 2013, catégorie conte (Saint-Leu dann kèr la révol).
Lauréate du Prix LanKRéol 2015, catégorie nouvelle (In zourné déor).
Lauréate du Prix Découverte, La Badine des fous, 2019.
Lauréate du Prix Flamboyant, 366 pensées Démaliz lo kèr, 2019.
Lauréate du Prix Flamboyant, Artémis a disparu, 2021.




















Crédit : Sedley ASSONNE.




















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