Le
néocapitalisme est prêt à admettre et à
intégrer toutes les
libertés. La seule liberté
qu'il n'est pas prêt à admettre et à
intégrer,
c'est celle de réfléchir sur ses propres
manipulations, sur sa propre emprise.
Rendre,
par tous les moyens, l'individu
prisonnier de lui-même, de sa propre
illusion
de lui-même, quelle astuce, quelle redoutable
efficience !
En
le ramenant - encore et toujours - à sa
petite personne, à son
nombril, on lui pose
des œillères.
On le rend aveugle au
fonctionnement de la
société dans laquelle il baigne et à ses
véritables lois, à savoir celles du
néocapitalisme.
L'
Ego est donc, après le travail, après la
surconsommation, la
nouvelle "drogue".
Nous
sommes tous manipulés par le système
économico-techno-social qui
nous englobe et
étend ses gigantesques tentacules sur
l'ensemble du monde; tous sommés par lui de
nous recentrer sur nous-même, sur
l'horizon
rétréci de notre propre bien-être. A ce compte-
là,
dites-moi...où est l'authentique liberté
mentale ? L'insidieux et habilissime mode de
pression qui est celui du néocapitalisme ne
nous enchaîne-t-il pas autant que les pires
des systèmes
dictatoriaux, à sa manière ?
Le
“progrès” protège et facilite les choses
autant qu'il amollit
les êtres. Les deux effets
ne sont-ils pas liés ?
Par aspiration au confort, par
inclination pour
le bien-être, nous nous sommes enfermés (ou
nous nous sommes laissés enfermer) nous-
mêmes dans un immense cocon de
technologie. Enfermés, que dis-je ?
Cadenassés.
Jamais
nous n'avons été à ce point modelés
par nos propres moyens
techniques et donc,
ce faisant, dépendants de ceux-ci.
La
société (c'est à dire le choix des gens)
désire et modèle le
confort . . . lequel, à son
tour, formate, conditionne, modèle les
gens.
C'est une boucle rétroactive.
Toute intensité trop marquée
choque la
“petite nature” de l'Homme contemporain,
modelé par
les technologies et par l'idéal du
Protéger/Contrôler institué
peu à peu à partir
de la Révolution industrielle européenne
(éradication de tout mal-être, de tout état
désagréable, de
toute menace et de tout
risque grâce au savoir scientifique
et technologique).
Les
machines nous ont appris à détester le
moindre effort et à rejeter
toute frustration.
Elles visent à nous soulager, se proposent
d'exaucer nos vieux vœux de facilité,
d'immédiateté, voire même
de toute-
puissance.
Mais
(ô, effets pervers !) elles nous ont aussi
rendus paresseux,
douillets, trop
impressionnables, passifs.
Le
Progrès est une surenchère, entretenue par
notre peur (de la
Nature, de nos propres
limites) tout autant que par notre espoir
(absurde) de pouvoir soumettre un jour tout
phénomène et toute chose à nos attentes.
Nous avons beau nous répéter
que “Le risque
0 n'est pas de ce monde”, nous le croyons
toujours, au fond de nous, de l'ordre du
réalisable; et nous ne pouvons toujours pas
nous empêcher d'y aspirer.
Le
capitalisme et son idéal de progrès nous
conditionnent à vouloir
toujours mieux,
toujours le meilleur en matière de
protection,
de mise à distance de toute forme de risque,
de toute expérience effectivement ou
potentiellement désagréable. Il a
fait de nous
ce que l'anthropologue italien Stefano BONI
appelle des Homo confort sur-encadrés,
surprotégés qui finissent , à
ce compte-là, par
être effrayés par leur propre ombre, mais qui,
dans le même temps, baignent dans un
climat – trop lisse, trop
régulé et, somme
toute, morose – d'ennui abyssal.
En
route pour Le meilleur des mondes !
A
force de se mettre à l'abri de toute
mauvaise surprise, on se met à
l'abri de toute
surprise-tout court. L'on se prive de
l'inattendu et
de sa dimension de charme.
Mais
bien sûr, que l'égotisme rend intolérant !
A
force d'être délivré de toute nécessité
d'effort, protégé
contre toute manifestation
de l'imprévu et gavé d'objets de
consommation et de loisirs, l'Homme actuel
baigne dans la sécurité,
l'hyper-hygiène,
l'ordre et l'abondance.
Ainsi
est-il devenu paresseux, passif et, par-
dessus tout, frileux,
TROUILLARD.
L'empathie
ne pâtit-elle pas des conseils et
des consignes comportementales
farouchement individualistes (affirmation de
soi, recentrage exclusif
sur sa propre
personne. . . ) des tenants et des guides du
développement personnel ?
Tout
ce qu'on attend de nous, c'est que l'on
TRAVAILLE et que l'on
CONSOMME. Sans
mettre le moindre bâton dans les roues du
Système qui nous protège mais qui nous
gave, nous sépare et nous abrutit.
En bref, qui
nous contrôle (et ce, de plus en plus grâce,
notamment, aux nouvelles possibilités et
perspectives de "flicage" qu'offrent les
nouvelles technologies).
P.
Laranco.