Il est tout de même à
noter que ce sont les prises de possession, puis les entreprises de
colonisation de peuplement de vastes territoires initialement faiblement
peuplés ou frappés de disparition de leur peuplement initial (par génocides ou
par pandémies venues d’ailleurs) qui ont initié l’idée de « melting pot ».
En « Amérique
latine », les expatriés espagnols et portugais, n’étant pas assez
nombreux, ont dû, pour « mettre en valeur » leurs exploitations
agricoles, avoir recours à ce qui demeurait des malheureux Amérindiens ou,
sinon, faire venir de la main d’œuvre servile razziée par bateaux en Afrique
subsaharienne. Ils se sont forcément fondus de manière rapide dans ces deux
autres populations, ce qui a donné, à compter du XVIe siècle, le fameux
métissage propre aux Amériques centrale et du Sud comme à la région caribéenne.
Dans les territoires
annexés par la Grande-Bretagne en revanche, tels les Etats-Unis, le Canada ou l’Australie,
la population de souche anglo-saxonne (Irlandais compris) était nettement plus
nombreuse suite au boom démographique inouï qui toucha les Îles britanniques
consécutivement à la Révolution industrielle, notamment au XIXe siècle. L’émigration
européenne fut donc volontaire et massive (car elle pouvait se le permettre) et
elle eut vite raison des populations autochtones de l’Amérique du Nord et de l’Australie,
très clairsemées et pauvrement organisées (absence d’états et de fortes
concentrations humaines). Cependant, même là finit par émerger l’idée de « melting
pot », avec le développement économique stimulé par la présence d’opportunités
agricoles sans commune mesure avec celles qui caractérisaient l’Europe (ex :
les sols fertiles ou propices à l’élevage des immenses prairies des Etats-Unis,
du Canada et même de certaines parties
du continent austral), et, surtout, de nombreux et riches gisements de matières
premières, indispensables au nouvel âge industriel.
Les Etats-Unis
devinrent une superpuissance très prestigieuse et ils érigèrent l’immigration,
voire le brassage des peuples (du moins, des peuples d’origine européenne) en
idéal. L’ «ouverture », la « mondialisation » servaient
leurs intérêts économiques et politiques hégémoniques, même s’ils eurent des
périodes de repli, d’ « isolationnisme ».
Les « affaires »
(business) sont, dans le monde anglo-saxon, ce qui compte le plus. En cela, il
reste fidèle à la vieille tradition maritime et commerçante, pragmatique des Îles
britanniques.
L’expansion coloniale
ouest-européenne créa l’idée de métissage, et l’imposa au reste du monde. C’est
elle qui campa et installa, dans l’inconscient collectif humain planétaire,
deux « personnages » inédits, presque deux nouveaux « archétypes » :
le métis (par le « sang », la culture ou les deux à la fois) et le « nomade »,
l’errant, le voyageur aux identités plurielles, incertaines, le déraciné
chronique. Ainsi, donc, les « racines » prirent, peu à peu, de moins
en moins d’importance.
Bien évidemment (la
génétique des populations, en plein essor actuellement, le prouve), les
contacts entre groupes humains de cultures et d’aspects physiques différents
ont toujours existé, même à la préhistoire. Mais jamais ils n’avaient atteint
le degré de développement et, d’abord, de reconnaissance – si ce n’est de « célébration »
- auxquels ils ont droit de nos jours. Une « identité », une culture
assimilait d’autres éléments (au plan génétique tout comme au plan culturel) et
c’était, du moins à ce qu’il me semble, à peu près tout. Les groupes, beaucoup
plus soudés, « holistes », tenaient à leur « tempérament »,
croyances et mœurs, et ils s’y accrochaient. Les écrits des anciens Égyptiens de civilisation pharaonique, par exemple, témoignent à l’évidence de leurs
sentiments de supériorité sur les peuples qui leur étaient voisins (Nubiens, Libyens,
proche-orientaux), de l’étendue de leur chauvinisme, alors même qu’en fait,
leur peuple résultait vraisemblablement, à l’origine, d’un mélange assez
complexe entre populations berbères « blanches » méditerranéennes et
populations africaines nilotiques « noires », qui avait dû se
produire dans l’ancien Sahara néolithique, avant que celui-ci ne s’assèche et
ne devienne un total désert. Les civilisations indienne et chinoise, quant à
elles, avaient tendance à tout indianiser, ou siniser. L’Empire romain, à son
apogée, se montrait pour sa part assez ouvert, assez peu exigeant en termes d’assimilation
culturelle, mais uniquement à l’égard des cultures orientales ou des autres
cultures méditerranéennes ; certainement pas à l’endroit des cultures « barbares »
nordiques, qu’il méprisait au contraire souverainement.
Les grandes migrations
coloniales ouest-européennes débutées au XVIe siècle furent différentes. Elles
éloignaient radicalement les expatriés de leurs mères-patries, sans espoir de
retour. Dans les débuts (du XVIe au XVIIIe siècles), presque totalement coupés
de leurs points de départ d’origine, les fameux « pionniers »
devaient créer un « nouveau monde » de leurs propres mains. Cela
impliqua un estompage indubitable de leurs références. Ils ne devaient plus se
consacrer qu’à leur nouvel environnement qui, la plupart du temps, au départ,
ne leur était guère favorable (conditions de vie inconnues, hostilité, au
combien compréhensible, de certains autochtones). L’immigrant « blanc »
des Amériques créait, déjà, un nouveau type. Il avait soif de liberté. Il
aspirait à tout refaire, à partir d’une table rase. C’était déjà un « déraciné »,
qui tournait le dos à la majeure partie de ses antécédents, doublé d’un
pragmatique auquel le passé n’inspirait plus qu’une sorte d’indifférence
teintée de mépris. Ses nouveaux cultes (imposés par sa situation) ? Ceux
de l’efficacité, de l’action, d’une certaine créativité et de la technologie
toujours en marche.
Pour en revenir à l’essence
de notre propos, à bien des égards, ne peut-on pas dire que l’idéal de « métissage »,
de « diversité » qui, de nos jours, tend à devenir de plus en plus
prégnant dans la sphère culturelle occidentale (surtout, pour l’instant, dans l’univers
d’une certaine bourgeoisie libérale, « éclairée » soutenant le
capitalisme, mais plus ou moins vaguement « de gauche » dont, aux
Etats-Unis, les démocrates sont les représentants les plus typiques) n’est pas,
d’un certain point de vue et, bien entendu, entre autres, l’aboutissement logique
de tout ce processus impérialiste, colonial que je viens d’évoquer ?
Peut-on concilier
mondialisme, multiculturalisme généralisé avec respect des « vieilles
cultures », que l’on dit aussi, et tout cela dans le même temps, « précieuses
pour le patrimoine humain » et dignes d’être ménagées ?
Racines ou grand
brassage des racines. N’est-ce pas là la question qui se pose urgemment avec le
choc actuel entre les idéaux libéraux mondialisés et mondialisateurs et les
réactions contraires de type nationalisme/populisme ?
P. Laranco.
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