vendredi 19 juillet 2019

Un texte en prose sur L'ORAGE de Patricia LARANCO (Moris/France).



La lumière change. Le ciel vire au gris bleuté. A toute allure, au-dessus des toits et des deux minces clochers qui pointent, les nuages filent et défilent. Un grondement monte, comme logé au creux de leurs rouleaux de fumée sombre aux limites, déchiquetées, informes qui se déplacent sur un fond trop pâle. Brusquement, le vent claque telle une immense serpillière qu’on aurait mouillée puis torsadée afin d’en faire une arme mi-fouet mi-gourdin. Toutes les tiges, branches et feuilles semblent, du coup, se hérisser, saisies de chair-de-poule.
On a l’impression que le ciel les empoigne, les électrifie, les tire vers lui. A ma tempe gauche, au coin de mon champ de vision, pulse une clarté lisse, jaune, aux reflets fauves. Tout droit, en face, c’est un grand mur de ténèbres métallisées. Et, à ma tempe droite, dans la trouée, un étrange éclaircissement, qui remue en son sein presque sans couleur de vastes pétales diaphanes, à la vague apparence bulleuse.
Le vent s’installe en son rythme de croisière vif, sauvage, qui part à l’assaut de mes joues par gifles brèves, renouvelées : j’hume sa forte odeur chargée, obscure, qui laboure la moire de l’espace – agrandie, rétrécie ? Je ne sais.
Cela se remet à grommeler, l’air, autour des fines branches, miroite, doublant de sa spirale tourbillonnante leur souple corps ligneux qu’il chahute, agite, étire, secoue, cependant que là-haut, au-dessus, entre les masses charbonneuses et toujours aussi mobiles, confuses s’allument, par à-coups, quelques vagues flashes qui ont à peine le temps de signaler leur présence.
Le vent forcit en enserrant les arbustes et autres plantes dans un étau de fer dont l’étreinte est si ferme, si vigoureuse qu’elle les couche de biais presque au ras du sol à tour de rôle d’un côté puis de l’autre tout en les tordant sauvagement au passage. On pourrait croire à un vent de début de cyclone : on penserait presque qu’il va tout emporter sur terre tant il s’agite, empoigne, comme saisi d’une espèce de pulsion d’arrachement. En mugissant, à présent, il produit un son caverneux, grave, noir qui se confond avec celui, plus intermittent, du tonnerre.
Les premières grosses macules de pluie assombrissent le vieux ciment gris clair de la cour intérieure. Et puis, très vite, à une vitesse ahurissante, la pluie cogne et tombe, tel un seul bloc et le paysage malmené, secoué, se brouille.
Le déluge s’abat, tout blanc, pour ainsi dire cristallin, semblable à un énorme coup de tranchoir : on le sent, l’entend, bien plus qu’on ne le voit. L’on perçoit qu’il est sans la moindre oblicité, droit, abrupt. Brutal. Précipité en une seule masse, qui émet, tout en chutant, un chuintement sec.
La terre foncée parait bouillir, produire de gros grumeaux obscurs. La végétation, pilonnée, se voit réduite à un magma vert, glauque. L’averse prend bientôt l’aspect d’un épais mur de verre dépoli au travers duquel on peinerait à distinguer les détails. Puis, tout aussi brusquement, elle cesse. Cela n’a duré que quelques brèves minutes. De suite après pour ainsi dire, le firmament change de couleur. Une teinte apaisée, délestée, à mi-chemin entre le jus de citron et les rose très dilué s’y épanouit, tandis qu’un moment de silence, quasi stupéfait, se suspend dans l’air, plane sur toutes choses. On ne capte plus le feulement du vent, ni la sourde errance du tonnerre. Au bout d’un certain temps même, l’éclaircissement un peu trouble se prend à chatoyer, à afficher une lueur blanche et métallisée à ce point vibrante et perçante que les oiseaux, l’interprétant sans doute comme un signal, se remettent subitement à lancer leurs trilles, dont le concert explose.











Patricia Laranco.

Paris, juin 2019.
























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