jeudi 22 février 2024

Le journaliste et écrivain mauricien Sedley ASSONNE donne son avis sur le FILM "BOB MARLEY - ONE LOVE" sorti tout récemment.

 




"BOB MARLEY - ONE LOVE"



« Bob Marley-One love » est co-produit par Rita et Cedella Marley. Et c’est Ziggy, un des fils de Bob, qui a choisi Kingsley Ben-Adir pour incarner son père à l’écran. Et au final, c’est un produit Américain, aseptisé, qui est vidé de tout le contenu qu’aura été la vie du roi du reggae, mort à 36 ans.
Quand vous voyez sur l’écran que le magazine Time décrète « Exodus » un des meilleurs albums de tous les temps, c’est une façon pour les Américains de récupérer celui qu’ils ont boudé du vivant de la superstar. Car, si Marley était une star en Europe, en Afrique et dans le Tiers-Monde, il n’avait pas conquis le marché Américain. Des stars noires comme Stevie Wonder chantaient déjà « Boogie on reggae woman », mais les Américains n'ont jamais cliqué sur cette musique de la Jamaïque. Et c’est toujours Stevie qui rend l’hommage qui est dû à Bob dans « Master Blaster ».
Et quand on voit que Brad Pitt figure parmi les producteurs, et que la Paramount distribue, on comprend tout. C’est un produit qui a coûté 70 millions à réaliser, et les concepteurs sont rentrés dans leurs frais, puisque le film a fait justement 70 millions de dollars de recettes globalement, en six jours d’exploitation aux Etats-Unis et dans le monde. Tant mieux pour Bob et pour le reggae, mais le verdict est : Aurait pu, aurait dû faire mieux !
En fait, ce film n’est pas pour les puristes. Pas pour ceux qui connaissent tout de la vie de Bob, à travers les documentaires qui lui ont été consacrés. Reinaldo Marcus Green, qui avait réalisé le biopic « King Richard », sur le père des sœurs Williams, avec Will Smith, se contente de flashbacks pour « reconstruire » la vie de Bob. C’est ainsi qu’il nous le montre enfant au tout début, pour ensuite passer à un Bob adulte, qui manque de se faire tuer, au plus fort de la guerre politique entre Edouard Seaga et Michael Manley, dont les partis régnaient alors sur la Jamaïque. Le réalisateur semble nous dire que si la balle avait atteint Bob au cœur (il est juste blessé au bras, alors que Rita, son épouse, est sauvée par ses locks, qui amortissent la traversée de la balle), il n’y aurait pas eu de carrière.
Or, comme c’est la famille Marley qui produit le film, Rita et ses enfants ont gommé tout l’apport de Bunny Wailer et de Peter Mackintosh, les vrais fondateurs des Wailers, et qui n’ont pas suivi Bob quand Chris Blackwell est venu leur proposer un contrat pour enregistrer à Londres. S’il est effectivement vrai que Blackwell a mis Marley sur orbite internationale, sauf les Etats-Unis bien sûr, rien n’est dit sur Eric Clapton. C’est sa reprise de « I shot the sheriff » qui rend Bob populaire en Angleterre. Mais c’est pas dit dans le film.
Et s’il est vrai qu’Exodus est considéré comme le chef-d’œuvre de Bob, ce n’est qu’après sa mort que le magazine Time fit amende honorable. Mais pour nous, le plus gros oubli impardonnable est l’escamotage complet du concert que donna Bob au Zimbabwe. Là encore, les Américains gomment complètement cette étape de la vie de Bob, qui renoue avec la terre de ses ancêtres et de Hailé Sélassié, le Roi des Rois. Si cela avait été montré, les gens auraient compris que l’ancienne Rhodésie des blancs racistes était tombée, et qu’un certain Robert Mugabe était venu au pouvoir. Ils n’ont pas voulu montrer l’Afrique, avec surtout le cantique « Africa Unite », qui inspira le « Leve do mo pep » à Ras Natty Baby. Un bout de ce concert est montré sur le générique de fin, mais ça passe mal. Car je m’attendais à ce qu’ils accordent une grande place à ce concert.
Mais il n’y a pas que des ratages dans le film. L’allégorie du champ de cannes qui brûle, et Hailé Sélassié qui prend Bob à califourchon sur son cheval, est belle. Une symbolique qui renvoie à « Catch a fire », un des albums-phares de Bob. Mais en valsant trop avec les flashbacks, le réalisateur met du flou dans son propos. Ainsi, quand il fait chanter « War » lors du premier concert de Bob à la Jamaïque, cette chanson n’était pas encore créée. Il est vrai que le réalisateur a sûrement voulu montrer la Jamaïque en état de guerre, mais en vérité cette chanson arrive trop tôt dans la narration.
La main de Rita est partout dans le film. Et Lashana Lynch est parfaite dans son rôle. Montrant comment elle a préféré rester effacée, pendant que monsieur faisait le galant avec Miss Univers (Cindy Breakspeare, la mère de Damian, et avec d’autres filles), mais Rita est restée digne. Elle a gardé le troupeau, et c’est grâce à elle aussi que ce film a vu le jour. Et d’ailleurs, elle a gardé cette altercation entre Don Taylor (qui devait organiser le concert de Bob en Afrique) et Bob. Où on voit un Bob Marley colérique. Ce qui est loin de l’image « cool » qu’on avait de lui, et des rastas.
En fait, justement si la philosophie rasta parcourt tout le film, avec même un nyabinghi, Reinaldo Marcus Green rate l’occasion d’approfondir pourquoi Bob passe d’enfant « normal », sans les tresses, à un adulte aux dreadlocks. D’ailleurs, si Bob Marley est devenu une légende, c’est parce qu’il est entré dans Babylone, et a marché selon ses lois. Ce que n’ont pas voulu faire Bunny Wailer et Peter Tosh. Qui préférèrent quitter les Wailers plutôt que de ramper devant les Blancs.
De 1981 à ce jour, l’absence de Bob ne s’est jamais fait sentir. Car depuis sa mort, il n’a jamais quitté les hits-parades. Mais si un jeune va voir « One love », il risque de croire que la vie de cette idole se résumait à ce qui est montré à l’écran. Ce qui est très loin de la réalité.
Et Kingsley Ben-Adir, me direz-vous ? L’idée d’un biopic n’est pas de trouver un sosie parfait (même si c’est un impératif) de celui/celle qu’on est chargé incarner. Claude François est revenu chanter sur grand écran, de même qu’Elvis. Et l’année prochaine nous verrons Jaffar, le neveu de MJ, incarner son oncle dans " Michael" Kingsley a été choisi par Ziggy, parce qu’il fallait quelqu’un pour jouer Bob. Et justement, l’acteur « n’est » pas Bob. Il ne fait pas comme d’autres acteurs qui, avant lui, sont rentrés dans les rôles. Rami Malek étant l’exemple le plus frappant, récoltant même un Oscar. Mais Kingsley ne va pas aussi loin. Et injure suprême, il est clair qu’il porte une perruque, alors qu’il a les cheveux crépus, et aurait pu se laisser pousser des locks. Donc, il y a un malaise quand on le voit censément devenir Bob Marley à l’écran. C’est vrai que par moments, on croit voir Bob, mais la magie n’opère pas. Du moins pour moi.
Reste un brouillon de film, qui ne parle que de deux ans dans la vie du chanteur. Je n’aurais jamais mis ce bout avec les punks, qui ne fait aucunement avancer l’histoire. Et même quand Paris est cité, le concert du Bourget, où 50 000 Français étaient venus applaudir Bob, n’est pas montré. En Italie, il avait rempli tout un stade. Tout cela n’est pas là. Et cette scène avec un des musiciens qui doit l’épauler en studio, et où ce dernier livre un solo à la Hendrix, c’est juste pour épater le public Américain. Car, dans le reggae, et surtout dans le reggae de Bob, il n’y a jamais eu de solo de guitare !
Je suis déçu du résultat, mais content que Rita et la famille Marley aient enfin quelque chose à montrer au monde. Mais je ne suis pas sûr que Bob aurait avalisé ce biopic !





Sedley ASSONNE.
Le 21 février 2024.

















Crédit : Sedley Assonne.













Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire