Le capitalisme a fait de la vie humaine un vrai
panier de crabes.
La vie est un chemin tout en arborescences.
Poésie et engagement.
Non, vivre en poésie, ce n'est pas vivre à part. Ce
n'est pas ronronner, au creux de sa petite bulle aux
rassurants rituels (et aux habituelles
courtisaneries).
ça a à voir avec la vie de la Cité. Cela implique un
"message" d'affranchissement. Il est normal que
le/la poète, ne serait-ce que de par l'étendue de sa
sensibilité, ressente le besoin de s'impliquer dans
les "choses du monde". et participe à la
"correction" de ce qui ne va pas. Être poète
s'accommode mal avec le fait d'avoir des œillères.
Ou de se laisser enfermer dans un confort, un
formatage - fut-il bourgeois ou fonctionnaire. Le/la
poète ressemble à l'enfant, qui déteste les injustices
et rêve plus que volontiers aux "utopies". C'est un
créatif.
La poésie, c'est un oiseau qui prend son envol, ailes
grandes ouvertes.
Et la société est un tout.
Pas de poète sans ENGAGEMENT. Sans
engagement de toute l'âme. Engagement sensoriel;
sensible; spirituel; sociétal.
Le/la poète, pour moi, est un esprit libre, donc
réactif.
La France, à ce qu'il m'en semble, n'est pas un pays
très très stimulant.
Est-ce un effet (lointain) des soubresauts de la
Révolution française, les élites, verrouillées,
intensément corporatistes et immobilistes (comme
l'est, d'ailleurs, une large partie du pays dans son
ensemble) redoutent instinctivement que le “gros
des troupes” se mette à leur disputer leur place, leur
prestige. Elles se comportent, curieusement, un peu
comme s'étaient comportées, bien avant elles, les
“privilégiés”, aristocrates ou clercs, de l'Ancien
régime moribond à la veille de la grande bascule.
On veut bien aider les “manants” à accéder à un
certain niveau de vie (lequel, au demeurant,
alimente le consumérisme et l'abrutissement des
masses ivres de “chacun pour soi” et d'hédonisme),
mais on ne tolère pas pour autant que puissants,
fortunés et experts perdent le sacro-saint contrôle.
On reste, en somme, paternaliste.
Une certaine “tradition” française stigmatise
l'ambition, le dynamisme, qui suscitent une
profonde méfiance. Ladite tradition arrange bien
ceux des hautes sphères inaccessibles et baigne,
pénètre également, dans une large mesure aussi, les
moins hautes (là-dessus, on peut dire qu'il y a, pour
une fois, un certain consensus, de nature tacite,
donc préconsciente).
La “moyenneté” (et peut-être, même, la
“moyennitude”) est devenue, en France, un idéal.
La France est, par excellence, un pays de classes
moyennes, aux aspirations moyennes, modérées,
modestes, “centristes” , qui aime bien vivre et, dans
le fond, n'en demande guère plus (en dépit d'une
certaine arrogance de façade, souvent reprochée
aux Français, à quelque milieu qu'ils
appartiennent). Et qui, auprès de cela, défoule ses
réelles tendances à l'énervement, à l'impatience
(sans doute dues au tempérament) en entretenant,
en son sein, un climat très présent de grogne
sourde, de déprime grincheuse aux accents
quelquefois paranoïdes.
Quid de l'image du poète ou de la poétesse en
France ?
Bien des gens (quand ils savent qu'ils existent, du
fait des “récitations” apprises, de force, à l'école ou
au collège et vécues, le plus souvent, comme une
légère forme - légère -de torture) les perçoivent
comme ésotériques, ou prétentieux. En tout les cas,
bien élitistes. Sans doute en raison du souvenir plus
que mitigé qu'ils gardent de l'école, où ils se sont
ennuyés à mort (on se demande à cause de quoi, de
qui).
A propos de RIMBAUD, et de sa vénération.
Je ne crois pas, mais vraiment PAS que
RIMBAUD, cette espèce d'étoile filante, cette
exception subversive, explosive de la poésie, eut
aimé être devenu une idole des profs, une gloire
académique. Ce dont l'homme Arthur RIMBAUD
voulait se souler d'abord, c'était de LIBERTE. Sa
biographie (encore faut-il la lire) nous le dit bien :
jusqu'à la fin de ses jours, il envoya promener, avec
toute l'indifférence et le dédain dont il était capable
– ceux dont seuls sont capables ceux qui ont vu ce
que l'homme a cru voir- les tentatives officielles de
récupération, y compris celles que mena et tenta de
lui faire miroiter son fameux complice Paul
VERLAINE.
Si RIMBAUD a fini par se faire récupérer, ce fut à
cause des circonstances de sa fin de vie et de
l'avidité (d'argent et de gloriole) de sa mère et
surtout, de sa sœur, très prosaïques bourgeoises
rurales qui avaient fini par prendre la pleine mesure
de l'exceptionnalité, tant poétique qu'humaine tout
court, de son parcours tellement hors norme (que,
par ailleurs, jamais elles ne purent vraiment
comprendre, mais ça, tout le monde s'en doute).
Isabelle, pour Arthur – et sans doute, par ricochet,
pour elle-même – voulait le firmament de la
reconnaissance. (En bonne provinciale de l'époque,
elle était considérablement impressionnée par l'avis
de l'intelligentsia parisienne comme par l'intérêt
potentiel des autorités culturelles suprêmes; ces
perspectives lui mettaient, pour tout dire, des
étoiles dans les yeux.)
Et VERLAINE, survivant de leurs dérives
communes, le désirait aussi (générosité ? Reste
d'attachement ? Admiration réelle pour une œuvre
dont la découverte l'avait “secoué” ? Il y a sans
doute un peu de tout ça).
RIMBAUD, lui, se fichait de sa propre œuvre. Qui
l'avait déçu. Comme tout le reste. La quête seule lui
importait. Et il était passé à autre chose.
La consécration de RIMBAUD se fit, en quelque
sorte, SANS le vrai RIMBAUD. Pour ne pas dire,
même, malgré lui. Lui s'était juste brûlé les ailes au
feu d'une de ses multiples quêtes dirigées vers
l'inaccessible. Lui était juste un vaincu, un adulte
terrassé par la déception, brisé par ses propres
chimères, qui ne savait plus quoi faire de sa vie. Le
poème l'avait trompé. Le désert, l'Afrique de l'Est
même avaient, pour lui, pris des allures de mirage,
de leurre. Son long dérèglement [...] s'était, in fine,
soldé par un échec total.
La démarche de RIMBAUD était
fondamentalement utopique. RIMBAUD était un
chercheur enfiévré par sa propre recherche
(poétique, politique, intime).
Fondamentalement, Arthur RIMBAUD boudait et
esquivait le monde. Il repoussait toute idée d'entrer
dans ce que ce dernier pouvait avoir à lui offrir.
Cela ne lui suffisait pas. S'il fut le poète qu'il fut,
c'était parce que le monde lui était INCOMPLET.
Parce qu'il ne lui offrait nul mot, nul vécu qui le
satisfit (du moins d'une manière durable).
Jamais RIMBAUD n'a attendu après la moindre
vénération. Ce qu'il poursuivit - sans succès -
passait bien au large de tout médaille. Je crois qu'il
aurait ricané de la gloire qui est à présent la sienne.
Car il était très insolent. Et déroutant. Avant tout le
reste.
Cela, bien peu de gens, de son temps comme de nos
jours, se trouvaient ou se trouvent encore en mesure
de le réaliser. Ne serait-ce que de l'entrevoir.
Ainsi RIMBAUD était-il condamné à n'être
vraiment proche de personne. Ce qui le rendit
d'autant plus attirant, et perturbant du même coup.
Il ne se laisse jamais réduire.
P. Laranco.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire