La migraine vue par un poète. La migraine vue comme EXPÉRIENCE. Qui affaiblit, amenuise (en réduisant à l’état de mi-graine, c'est-à-dire de moins qu’une graine), mais aussi, curieusement autant que douloureusement, aiguise tous les sens et, ce faisant, conduit l’être vers des confins où la glace qui éclaire chante à force de vertige neuronal et de promenade dans l’évanouissement […].
A partir d’un vécu certes exacerbé, intense mais on ne peut plus physique qui arrive à pas mal de gens, le poète roumain Ara SHISHMANIAN (ici traduit de sa langue natale par son épouse, Dana, elle aussi poétesse, quoique, pour sa part, d’expression française), par la magie des mots et des images, par leur extraordinaire force martelante au pouvoir évocateur sans merci ( La perceuse ; la migraine dévisse les yeux / comme si des cactus poussaient dans mon cerveau ; on dirait que des fenêtres se brisent derrière ma rétine…bourrant mon cerveau d’éclats ) nous entraîne vers tout un univers spirituel et symbolique où, entre autres, se côtoient, omniprésentes, des référence chrétiennes et mythologiques grecques antiques (tout particulièrement, le labyrinthe, qui m’est au combien cher).
C’est que, pour cet auteur qui sait de quoi il parle, qui le vit dans sa chair au niveau du cerveau, l’organe le plus noble, les migraines frappent à la porte de l’incompréhensible * et, donc, du dépassement et – j’insiste bien là-dessus – font migrer (migrer/migraines ?) l’épaisseur charnelle jusqu’aux lisières transfigurantes, alchimiques de ce que le poète n'hésite pas à nommer dé-corps, décor de décorporéité.
La souffrance formatrice, la violence (fort bien exprimées) sont là, qui semblent indispensables à cette sorte de métamorphose, aussi destructive que décisive. L’attaque -corporelle, mentale mais aussi, à terme, mystique- fissure le Moi comme le sinistre pilon d’une guerre, d’un tremblement de terre, d’un tremblement d’être qui, derrière lui, ne laisse que poudre de néant.
Cette poésie – au demeurant intellectuelle et quelquefois hermétique – a une dimension intimidante. Est-ce l’effet de ses audaces langagières, de son caractère exigeant, extraordinairement travaillé, des tourments dont elle évoque, campe sans nulle concession la pleine torture, de sa puissance (une puissance exploratrice) qui, non contente d’assener ici pleinement l’ impitoyable relief de toute cette pénible, grinçante, broyeuse démesure dont le rouleau compresseur s’en prend à l’ensemble du fragile être de chair-pensée, la magnifie et nous en fait partager la fascination ?
Quoi qu’il en soit, elle nous secoue et, longtemps après, nous trouble, nous marque.
Pas de place pour l'indifférence !
P.Laranco.
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