Voici un pavé dans la mare.
Notre société, qui, de plus en plus, vit à l’heure de l’ordinateur, de l’idéal d’ « excellence » intellectuelle chez l’être humain se targue aussi, de plus en plus, de débusquer cette dernière, de la sélectionner dès l’âge le plus tendre, grâce aux fameux tests de QI, hérités du Français BINET, mais « revus et corrigés » par les soins des psychométriciens américains.
Or, pour l’auteur de cet ouvrage (qui s’y connait un brin puisqu’il est lui-même psychologue, psychothérapeute et chercheur en psychosociologie de haut niveau), ces tests de QI sont absurdes, tout comme les notions de surdoué, d’individu à haut potentiel, ou d’enfant précoce sont, dans les faits, bien plus de l’ordre du mythe que de celui de la réalité humaine. Quant à la psychométrie, semblablement à la psychanalyse avant elle, elle possède toutes les caractéristiques d’une fausse science, reposant sur des statistiques et ne testant que les capacités purement cognitives de l’intelligence, à un instant t de la vie d’une personne.
Ainsi les tests-QI ne peuvent-ils qu’être incomplets, que réducteurs, et le « surdoué » - tel qu’on est amené, à partir d’eux, à le concevoir – rien de plus qu’un sur-scolaire, un « fort en thème », un brillant technocrate prisonnier de schémas de pensée formatés, très rigides ; à l’opposé de la véritable intelligence, laquelle est, pour sa part, multiple, instable selon les contextes et les moments et totalement interconnectée avec toutes les autres dimensions du fonctionnement humain.
D’abord, rien, dans l’état actuel de la recherche génétique, ne prouve que l’ « intelligence » soit de nature innée. Tout ce que l’on sait, pour l’instant, ainsi que nous le révèle l’auteur, c’est Qu’il n’y a pas de bonne corrélation entre le « quotient de développement » (on ne parle pas de QI à ces âges-là) des bébés (quotient élevé pour la très grande majorité d’entre eux) et le QI de ces bébés devenus adultes. La très grande majorité des bébés sont plus intelligents que les adultes qu’ils deviendront.. Voilà qui plaiderait pour une relative égalité de potentiel, de même que pour une assez flagrante supériorité du rôle joué par le psychosocial dans le développement de l’intelligence. Autre preuve de ces faits : parmi les « surdoués » officiellement et dûment répertoriés, il est frappant de constater combien la présence des garçonnets et jeunes garçons dépasse celle des fillettes et filles (tout comme l’on compte, d’ailleurs, une proportion dérisoire de femmes dans les rangs des « génies » placés au Panthéon de la postérité et de la Grande Histoire humaine).
Comme par hasard, il en va exactement de même en ce qui concerne les pauvres et les ethnies que les divers aléas de l’Histoire coloniale ont soumises et sous-estimées au nom de la « Civilisation » ; dans tous les pays multiethniques et multiculturels, les tests de QI, autant que les statistiques de l’échec scolaire, désavantagent plus que nettement ceux qui n’appartiennent pas déjà, au préalable, à l’élite de la bourgeoisie d’origine strictement européenne.
L’intellect, ça ressemble aux plantes. Elles s’arrosent et il se stimule ; il doit se sentir non seulement abreuvé, mais encouragé. Ce qui est, sinon impossible, à tout le moins, encore aujourd’hui, difficile dans un très grand nombre de milieux, puisque nous vivons dans des sociétés très fortement inégalitaires, structurées de manière très pyramidale, en fonction de l’argent et du prestige que l’on accorde – ou non – à telle activité ou tâche.
PELLISSIER, non sans s’armer d’un humour féroce, corrosif, dénonce résolument, au surplus, l’émergence contemporaine de ce qu’il n’hésite pas à désigner comme étant un racisme de l’intelligence.
On parle de « méritocratie », mais lui nous démontre à quel point, dans ladite « méritocratie », les dés peuvent être pipés.
Les « têtes », les bêtes à concours diagnostiqués « surdoués » puis sortis premiers aux classements des grandes écoles sont tous issus de familles riches, tant par l’aisance matérielle que par le capital culturel. Dès le berceau, ils ont « baigné » dans l’exigence de réussite, dont les tests de QI deviennent, en ce moment même, le principal outil. Ils ont acquis leur bagage par porosité, par mimétisme et par incitation (parfois, sinon souvent, par surstimulation) de la part de leurs ascendants de même que grâce à la facilité d’accès aux ressources permettant la transmission efficace des savoirs (livres, ordinateurs, cours particuliers, écoles spéciales, telles les écoles MONTESSORI…) que leur famille leur offrait parce qu’elle pouvait haut la main la leur offrir.
Ainsi y-a-t-il eu, de génération en génération, une sorte d’ « effet boule de neige » qui a sous-tendu une inébranlable reproduction des privilèges, en dépit de légendes du style « self-made man » ou de velléités (vite remises en cause, du reste, aux U.S.A) telle l’ « affirmative action ».
Les études – et, encore plus, les hautes études – sont fort longues et reviennent cher ; même un boursier, en France, ne deviendra que rarissimement un ancien de l’ENA, de SciencePo ou de Polytechnique ; pour « ces gens-là », il existe des filières toutes tracées, lesquelles facilitent, « boostent » l’ « excellence », l’ambition, le « caractère de chef ». Et ces filières sont de véritables parcours obligés, des « cursus honorum » à la romaine. La « modernité » démocrate est, en fait, aux mains d’oligarchies technocratiques qui, actuellement, essaient par tous les moyens de justifier leur statut, leur pouvoir. Entre autre, en proposant pour modèles suprêmes les « superhéros » de la SILICON VALLEY, les Bill GATES, les Elon MUSK et autres Mark ZUCKERBERG.
Plus modestement, en France, la figure d’un Emmanuel MACRON, énarque, surdoué, président de la République (donc, éminemment « à sa place »).
Ce n’est, sans doute, pas par hasard que ce président réélu est, de la sorte, qualifié de « surdoué » par un certain nombre de « spécialistes ». A-t-il passé les tests dès la sortie de l’école maternelle ? Franchement, je n’en ai aucune idée.
Toujours est-il que les tests de QI infantiles deviennent, en France, à présent, monnaie courante. Objets d’une véritable ruée. Toujours est-il que les livres de psychologie traitant des surdoué-zèbres ont très largement le vent en poupe.
J. PELLISSIER démontre à quel point leurs présentations, leurs analyses sont douteuses. Si ce n’est suspectes.
Certes, il existe, pour lui, des formes qu’il n’a guère l’intention de nier, des formes d’intelligence et de sensibilité reconnues par lui comme atypiques, anormées, qui peinent indubitablement à se couler dans le moule. Mais, pour lui encore, elles résultent d’une manière d’inadaptation, voire de résistance qui leur viendrait de la néoténie humaine. Dit autrement, on pourrait croire qu’elles appartiennent à des personnes qui, par certains côtés, auraient des difficultés à grandir (tout en freinant souvent leur processus d’intégration sociale et en leur causant, de ce fait, un indéniable lot de souffrance, ces difficultés-là posséderaient, aussi, la vertu de préserver l’originalité de leur regard, de leur perception des choses, leurs facultés intuitives, imaginatives et ludiques, ce qui serait, pour la créativité comme pour l’ouverture d’esprit, un important plus) .
Évidemment, il faut se garder, là, des oppositions idéologiques (voire politiques) qui, autour de la question de l’inné et de l’acquis, divisent maintenant depuis nombre d’années les universitaires et chercheurs. Manifestement, l’auteur de ce livre se situe sur la rive (« gauche ») des partisans du (presque) tout acquis. Ses dénonciations des liens entre révolution conservatrice et montée en influence des ouvrages de psychologie-QI (qui distinguent les zèbres et les exhortent à faire fructifier leurs « dons », quitte à se séparer du reste de la population dès l’enfance pour constituer un entre-soi-pépinière bien utile au système de castes) pourraient paraitre partisanes.
Elles n’en sont pas moins aux combiens utiles, ne serait-ce que pour rééquilibrer la balance actuelle. Ne serait-ce que pour garder conscience de ce qu’il y a d’artificiel, d’injuste et de scandaleux dans nos sociétés contemporaines.
Oui, il existe bel et bien des intelligences sans sur-diplômes. Des intelligences complètement coupées de tout souci de « réussite », de toute adaptation au système qui, de nos jours, fait peser sa pression.
Ne sont-elles pas les plus saines ?
L’auteur ose poser la question.
Et y apporter (en filigrane) une réponse pour le moins salutaire : personne ne peut se targuer de posséder le monopole de l’intelligence. Ce d’autant plus que l’intelligence ne peut se mettre en équation(s). Qu’elle est indissociable du reste de la complexité humaine.
L’Homme n’est pas un ordinateur. Chez lui, l’ « intelligence » (stockage de mémoire, capacités de calcul, résolution des problèmes) n’existe pas en soi, elle se trouve toujours intimement reliée et étroitement intriquée à d’autres expressions et à d’autres domaines du fonctionnement humain (telles que l’hypersensibilité, l’affectivité, l’entrainement et l’expérience, l’intuition ou l’émotion…) car le cerveau est un ensemble, donc un phénomène émergent (comme dirait Edgar MORIN).
Au surplus, chaque intelligence possède son rythme, ses rythmes propres. L’ « intelligence » est libre, souple, flexible, plurielle et, redisons-le, fortement reliée. Impossible de l’isoler, de la séparer de cet ensemble, de cette entité une, mais cependant complexe, subtile que forme l’être. L’être singulier.
Les « surdoués » ne sont pas hypersensibles et révulsés par l’injustice parce qu’ils sont « intelligents » et qu’ils pensent vite ou qu’ils calculent plus facilement et plus souvent. Il est, par exemple, des psychopathes (ou sociopathes) qui possèdent de très hauts QI. Tout comme il existe de « très hauts potentiels » qui…se plantent.
On est encore loin de trouver une définition de l’intelligence (naturelle) qui ne soit pas arbitrairement réductrice et, pareillement à la génétique, la neurologie débouche sur des panoramas archi complexes. Plus trivialement, le « matheux » est-il plus « intelligent » que le philosophe ?
A l’instar de la psychanalyse et de la psychiatrie avant eux, les tests-QI sont utilisés à des fins de normalisation, d’enfermement entre des rails uniquement scolaires et élitistes.
De plus – attention !- cet emballement pour l’hyperintellect aux origines innées tend chaque jour plus à fabriquer une sorte de nouvelle caste avec, à la clé, une réactivation (plus ou moins déguisée et modifiée) du sinistre mythe du « surhomme » ayant « naturellement » droit au pouvoir et à la suprématie qui n’est pas sans rappeler les délires de la science raciste européenne de la fin du XIXe siècle qui mesurait les crânes, établissait force classifications tant animales qu’humaines, et dont l’aboutissement monstrueux ne fut autre, au XXe siècle, que…l’idéologie nazie. Pour les nazis, la réussite revenait de plein droit au(x) plus « fort(s) », aux soi-disant plus « sains », plus « purs » en termes de « race » blanche.
Pour nos contemporains psychométriciens et tenants du QI 130+, elle revient désormais à l’« intelligence ». Mais le principe n’est-il pas le même ?
Ne s’agit-il pas, encore une fois, de justifier, en la magnifiant, une caste suprême, enfermée dans une tour d’ivoire, élitiste et oligarchique, cette fois une caste de maîtres du savoir et de la technique ?
Que PELLISSIER a raison de nous alerter sur de tels périls !
P.Laranco.
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