lundi 13 septembre 2021

Un conte corse de Jean-Marc TALAMONI.

 

 

 

 

U GHJUVANOTTU CHI VULIA ESSE VISTU.

LE JEUNE HOMME QUI VOULAIT ÊTRE VU.

 

 

 

 

 

 

 

Cela se passe dans un village de Corse, un de ces villages aux pierres grises, avec sa fontaine, son église, son épicerie-boulangerie, son café, son école et, bien sûr, sa mairie.

Dans ce village vit un jeune homme de 18 ans, Lisandru. Il est orphelin, mais il habite toujours les deux pièces de la maison de ses parents. Pour survivre, il fait des petits boulots, aide à ramasser les poubelles, décharge le camion de l’épicerie-boulangerie, bref, rien d’intéressant.

Lisandru, ces petits travaux à part, a l’impression d’être invisible. Personne ne l’invite et ne vient le voir. Juste le curé lui amène de temps en temps un morceau de pain et de la farine de châtaigne.

Cette impression d’être un brouillard dans son village le rend encore plus triste, malheureux.

Le soir, avant de s’endormir, il pense à son enfance, quand il jouait avec les autres dans la cour de l’école ou à son ami Jocanthe quand ils parcouraient les sentiers de la forêt en s’imaginant être des hommes, des héros.

Un soir, il se dit : «Vogliu esse un eroe è esse ricunnisciutu.» « Je veux être un héros et être reconnu. »

Alors un matin, très tôt, après avoir préparé sa valise, il quitte la maison et dépose la clé dans la boite aux lettres qui ne recevait jamais de courrier, et il va jusqu’à l’arrêt de bus. Il part pour l’Australie.

Ensuite, Lisandru prend le train et, arrivé à Bastia, il se fait embaucher sur un cargo qui part vers une destination inconnue de lui. De cargo en cargo, il arrive en Australie. Lisandru devient docker puis, par la suite, à force d’acharnement, chef de quai. Ensuite, il devient secrétaire du plus grand syndicat.

Des années plus tard, il siège au conseil d’administration des quatre plus grandes sociétés de fret d’Australie. Lisandru est reconnu de Sydney à Perth.

Cinquante ans ont passé, et un soir, dans sa grande villa, Lisandru se dit : « Avà pô vultà in paesi. »

« Maintenant je peux retourner au village. ». Il n’a jamais pris femme car il a trop d’amour pour son pays et c’est chez lui qu’il pense trouver l’amour d’une femme. Alors, il prépare sa valise, met son plus joli costume, ferme la porte de sa villa et dépose la clé dans la boite aux lettres qui recevait toujours beaucoup de courrier.

Il se dirige vers l’aéroport, prend l’avion pour Paris, puis un autre  avion pour Bastia. A Bastia, il se dirige vers la gare, prend le train et, ensuite, le bus qui l’amène à son village.

Lisandru est devant l’arrêt de bus au village, la valise à ses pieds ; le jour commence à se lever. Il est seul. Dans la demi-clarté, il voit arriver une ombre qui s’approche de plus en plus. Lisandru reconnait Jocanthe, son ami d’enfance. Ils sont face à face, lui avec son costume de soie et Jocanthe courbé sur sa canne. Jocanthe lui dit : «Ma si Lisandru.» « Mais tu es Lisandru. » « Iè. » «Oui.», répond-il, « È tu Jocanthe. » « Et toi Jocanthe. »

Jocanthe le regarde et, voyant la valise, il lui dit : « Ma induve vai cusì cù a vostra maleta ? » « Mais où pars-tu comme cela, avec ta valise ? ».

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Jean-Marc TALAMONI.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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