Tribune publiée dans "Le Monde de l’Éducation", 07/02/2023
Monsieur le Président,
Lors du débat de l'entre-deux tours de Mai 2022, vous avez affirmé que la protection de l'enfance serait au cœur de votre second mandat. Aujourd'hui, il y a urgence.
Urgence pour des milliers d'enfants de notre pays, qui non seulement
ne sont plus protégés, mais sont parfois en danger. Certains ont besoin
de soins psychiques ou de structures adaptées. D'autres ont besoin d'être protégés d'un milieu familial délétère. Nous, professionnels de l'école,
côtoyons chaque jour ces enfants dont nous connaissons les difficultés
et que nous sommes trop souvent dans l'impossibilité d'aider. Ils vont
mal et nous le font savoir. Depuis plusieurs années, nous constatons une
dégradation des moyens disponibles pour répondre aux besoins fondamentaux de ces enfants vulnérables.
Pourtant, nous ne pouvons et ne voulons pas nous résigner. Alors, à
l'école, nous essayons de bricoler des aides, les équipes pédagogiques
font preuve d'inventivité et de souplesse, mais nous atteignons nos
limites. Les enseignants sont de plus en plus en souffrance
eux-mêmes, devant leur impuissance à aider ces enfants qui expriment
parfois violemment leur mal-être.
Nous manquons de soignants. Notre pédopsychiatrie est à bout de souffle.
Protège-t-on nos enfants en France quand il faut des mois avant de
pouvoir rencontrer un pédopsychiatre ou des années avant de bénéficier
d'un service de soins ?
Nous manquons de places pour les enfants qui ne peuvent plus rester à l'école.
Protège-t-on nos enfants quand certains attendent plus de 5 ans une
place en établissement médico-éducatif ? Peut-on parler d'inclusion
quand un enfant passe plus de temps hors de la classe avec son AESH que
dans la classe car l'école devient une souffrance pour lui ? Est-ce
normal que des parents doivent s'arrêter de travailler pour prendre en
charge leur enfant en attendant qu'une place se libère quelque part
?
Nous manquons de familles d'accueil, de places en foyers et d'éducateurs formés.
Protège-t-on nos enfants quand le manque de structures d'accueil
empêche leur mise à l'abri ? Que doit-on dire à ces enfants qui se sont
confiés à nous, à qui nous avons assuré que parler permettrait de les
protéger ? Dites-nous comment les regarder en face, ces enfants que nous savons en danger et pour lesquels rien ne se passe ou si peu.
La situation est grave. L'école ne peut pas porter seule la souffrance de tous ces enfants. Elle doit pouvoir travailler en partenariat avec des structures de soin et des services de protection de l'enfance dotés de moyens.
Alors, nous vous demandons de tenir votre engagement. Vous avez raison,
l'enfance doit être au cœur de nos préoccupations. C'est pourquoi
au-delà des textes et des lois, des moyens humains et matériels
doivent être déployés. Ces enfants doivent pouvoir trouver sur leur
route des professionnels formés et des lieux de répit. Parce qu'un
enfant très tôt écouté, soutenu et aidé aura plus de chances de devenir
un adulte épanoui, un parent bienveillant, un citoyen responsable. Parce
qu'un pays comme la France ne peut pas renoncer à donner toutes les
chances à ses enfants, parce qu'ils sont de futurs adultes et que ces blessures d'enfance non soignées pourront se transformer en colère, en haine et en violence.
Monsieur le Président, ne nous laissez pas seuls, aidez-nous à les aider.
Premiers signataires : Gaïd Le Corfec, psychologue
de l’éducation nationale, Christelle Bourrat, professeure des écoles et
directrice, Mélodie Constant, coordinatrice dispositif ULIS, Sandrine
Hurpin, enseignante référente MDPH, Marine Jalaber, professeure des
écoles, Florence Kuntzmann, psychologue de l’éducation nationale, Lucie
Levilain, professeure des écoles et directrice, Christiane Deslandes,
psychologue de l’éducation nationale, Pascale Robert, enseignante
spécialisée Rased, Anne Blouët-Leneveu, AESH
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