vendredi 21 juillet 2023

Lecture (Sciences de la Vie) : Frans DE WAAL, "SOMMES-NOUS TROP « BÊTES » POUR COMPRENDRE L’INTELLIGENCE DES ANIMAUX ?", éditions LLL – LES LIENS QUI LIBERENT, 2016.

 

 


 

La réponse à cette question, titre de ce substantiel ouvrage de 416 pages est, sans aucun doute, affirmative. Ainsi que, tout au long de ces pages, Frans DE WAAL le fait bien ressortir avec toute sa rigueur logique, nous le sommes car, ainsi que toute espèce vivante que compte cette Terre, nous sommes et restons enfermés dans notre propre condition (animale, mammifère, primate), et ce malgré toute la farouche volonté, tous les outils que nos capacités créèrent et mirent à notre disposition (observations sur le terrain, tests comportementaux en laboratoire, mathématiques, informatique) et l’acharnement dans la soif de savoir des scientifiques eux-mêmes.

D’une part, nous ne savons toujours pas grand-chose des « animaux » (qui, au surplus, comptent dans leurs rangs, outre la nôtre, une incroyable kyrielle d’espèces, parmi lesquelles chacune possède SA perception, SA sensorialité, SA sensibilité propres, toutes déterminées par la forme de son corps, son fonctionnement physiologique et l’environnement dans lequel elle évolue et auquel elle est tenue de s’adapter, sous peine d’issue fatale).

Vis-à-vis des « bêtes », l’Homo sapiens a, de tout temps, sous une forme ou sous une autre, eu le sentiment d’une séparation, d’un fossé parfois abyssal. Il serait le seul être doté de ce qu’il appelle une conscience, une « âme », alors que les autres créatures vivantes ne seraient que contrôlées par des « instincts » et « programmées » par la nature pour agir de telle ou telle façon, sans nul besoin de réfléchir. Les spiritualités (des plus basiques comme, par exemple, le chamanisme à celles, hyperconnues, qui clament que L'Homme est fait à l’image de Dieu), les philosophies (comme, par exemple, l’humanisme) et jusqu’à la logique, la science (des animaux-machines de René DESCARTES, adepte de la dualité aux expériences et positions, beaucoup plus récentes, de l’école behavioriste) ont toutes (lourdement) insisté sur le prétendu fait (issu de son propre ressenti de dominatrice de la nature et d’au combien radicale transformatrice du monde à sa guise) que la créature humaine était, en tout domaine, à part, d’essence spéciale et supérieure en regard de tout le reste de la création terrestre, du fait de ce qu’Edgar MORIN, entre autres, appelle la conscience réflexive, phénomène réputé sans équivalent.

Il est temps de remettre tout ceci à plat, surtout auprès du grand public, à la lumière des avancées les plus récentes d’un nouveau courant, d’une nouvelle discipline à l’intérieur de l’éthologie, l’ éthologie évolutionniste.

Nombre d’expériences, à présent, le prouvent (ou, à tout le moins, le suggèrent – prudence scientifique oblige, car « entrer dans la tête » de telle ou telle espèce animale est tout, sauf évident) : la conscience - de soi et du monde environnant – existe partout. Non seulement chez nos plus proches parents animaux, les chimpanzés et autres grands singes (si chers à l’auteur) mais encore chez les autres singes, chez les dauphins, les corvidés, les rongeurs, les éléphants et même les poulpes, lesquels sont bourrés de neurones tout le long de leur corps.

Frans DE WAAL va jusqu’à penser, très sérieusement, que La cognition est indépendante du langage [articulé, humain]. On peut donc en déduire que le Verbe a été fort surestimé par l’Homme et ses diverses cultures (tel qu’on en voit le témoignage dans les textes sacrés de maintes religions, dans la philosophie et dans les sciences humaines, de même que dans toutes les piteuses tentatives qui ont été faites pour amener des chimpanzés, bonobos ou orang-outans à se mettre à parler réellement avec nous, pour ainsi dire au même niveau intellectuel, et ce quel que soit le canal, car on a tout utilisé).

Le brillant primatologue néerlando-américain dénonce également la façon dont sont conduits un très grand nombre de tests cognitifs comparatifs entre grands singes et très jeunes enfants en nous démontrant, de manière aussi passionnante que convaincante, combien, dans leur principe même, ils se trouvent biaisés, donc faussés. « La plus belle femme du monde ne pourra jamais donner que ce qu’elle a ».

Il en va exactement de même pour chaque espèce animale. L’Homo sapiens a le gros cerveau et la main. Mais la pieuvre ou le corbeau savent RÉSOUDRE DES PROBLÈMES.

Le degré de conscience, d’intelligence dont fait montre l’humain serait simplement nettement plus élevé (et encore, sur quoi se fonde-t-on pour prétendre qu'il est plus élevé ?- Là encore, tout est une question de point de vue) rapport à sa morphologie et aux BESOINS qui furent ceux de ses ancêtres hominidés depuis environ quelques 2 millions d'années.

Alors, la Conscience serait-elle un simple moteur d’adaptation; un outil-atout comme un autre propre à servir le désir de survie; une fonction somme toute « banale » qui s’adapterait aux exigences ?

Et puis, que sait-on vraiment d’elle ?

Les neurosciences et leurs techniques de plus en plus sophistiquées (telle l’IRM) nous seront, là, sans doute, d’un grand et précieux secours.

Et puis, surtout, n’oublions pas…se départir de nos présupposés dualistes, d’une rare arrogance. En somme, changer notre regard. Sur ce qui nous entoure. Sur nous-mêmes.

Voilà la grande leçon de ce livre (à tout le moins, à mon humble avis).

 

 

 

 

 

 

P. Laranco.

 

 

 

 

 

 

 

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