Parfois vous allez à la mer. Vous attendez qu'il fasse
nuit. Quand tout le monde dort. La mer est loin. Très loin. Là-bas. Mais vous
n'avez pas peur. Vous savez qu'il ne vous arrivera rien. La mer protège ceux
qui l'aiment. Vous marchez sur la pointe des pieds. Il ne faut pas qu'ils vous
entendent. Ils vous empêcheront de partir. Ils ne comprennent pas l'appel de la
mer. Peut-être que personne ne le comprend tout à fait. Qu'importe car vous
devez partir. Partir. Puis vous vous mettez à courir. Vous aimez courir la
nuit. Vous aimez le silence et la beauté des étoiles. Vous pourriez courir
ainsi pendant des heures. Sans vous arrêter. Rien n'est plus beau. Rien n'est
plus vrai. Au creux de la nuit le monde s'efface. Les mensonges, les trahisons,
la vulgarité, les cris, l'argent. Le monde est beau car les hommes dorment.
Bientôt ils se réveilleront et ils détruiront cette beauté. Cette sérénité. Ne
savent-ils pas, vous vous demandez, eux qui sont si arrogants, qui se croient
essentiels, qu'ils sont inutiles, qu'ils ne servent qu'à pas grand chose. Le
destin du monde appartient à la beauté et non à l'homme. Et l'unique destin de
l'homme est de révéler cette beauté. Mais il ne faut pas réfléchir. Il faut
courir. Et vous courez. Et vous voyez la mer là-bas au loin. Et votre cœur bat
de plus en plus vite. Et des frissons secouent votre corps. Vous fermez vos
yeux. Vous ne voulez pas voir la mer. Pas maintenant. Pas tout de suite. Vous
voulez prendre le temps de la découvrir. Et la mer se mérite. Il faut s'oublier
un peu pour l'aimer. Il faut cesser d'être, un peu, pour l'aimer. Nombreux sont
ceux qui croient aimer la mer. Mais ils n’en savent pas le sens. Il faut
s'abandonner à la mer. Peut-être devenir la mer. Faire un avec elle. Alors ils
comprendront. Vous vous approchez de la mer. Vous avez du mal à respirer. Vous
ne voulez plus respirer. Qu'il serait bon de mourir, là, au seuil de la mer.
Pas une mort douloureuse. Mais une mort qui libère. Faite de lumière. Il n'est
de plus belle lumière. Vous vous en approchez. Vous regardez la mer. Vous
aimeriez trouver les mots, là, tout de suite, pour raconter la mer, pour la
décrire, pour dire ce qu'elle est. Mais vous n'est pas un poète. Vous aimeriez
pouvoir chanter la beauté de la mer. Mais vous n'êtes pas chanteur. Vous
aimeriez pouvoir peindre les métamorphoses de ses couleurs. Mais nous n'êtes
pas peintre. Vous aimeriez danser au rythme de la mer, jusqu'à ce que le temps
défigure vos traces. Mais vous n'êtes pas danseur. Vous n'êtes rien d'autre que
celui qui aime la mer. Et qui en est aimé. Et face à la mer vous n'êtes plus
rien. Plus lieu de parler, parler est toujours mentir, pas lieu de penser,
penser est toujours trahir. La parole et les pensées sont encombrantes. Il faut
s'en débarrasser. Ils ne servent à rien. Et face à la mer vous n'êtes plus
rien. Vous ne voulez plus rien. Vous ne désirez plus rien. Et celui qui ne
désire plus est libre. Et vous êtes libre ce soir. Et la mer, petit à petit,
s'approche de vous. Elle est discrète. Elle ne veut pas vous effrayer. Mais
vous n'avez pas peur. La mer vous lèche la peau. Ca picote et c'est bon. Et la
mer ensuite pénètre votre corps, elle se mêle à votre sang, la mer devient
votre sang et la mer devient votre cœur et dans ce cœur il n'y a plus rien, le
vide, l'absence et la mer et votre cœur bat de plus en plus vite et la mer se
répand en vous, vous ne savez ce que vous êtes, où vous êtes, peu importe car
vous êtes la mer et vous allez peut-être mourir, qu'importe, vous allez
peut-être revivre, qu'importe, plus rien n'a de l'importance, la mer suffit et
votre cœur bat vite, toujours plus vite, comme la mer. Vous êtes la mer et rien
n'est plus vrai, n'est plus beau. Tout à l'heure vous vous en irez. Il le faut
bien. Vous retournerez là-bas au lieu des illusions. Mais il est dans votre
cœur la mer et dans la mer votre cœur et ces mots : Parfois vous allez à la
mer.
Umar
TIMOL.
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