Les
« Bobos » pourraient être sympas. Au vu des idées qu’ils professent
et tentent même, activement (quoique très maladroitement), de mettre en
pratique : tolérance, mixité sociale, ouverture culturelle, féminisme,
« normalisation » des minorités sexuelles, pacifisme, écologie, désir
de recréer du lien de proximité à l’intérieur des mégapoles – donc, de les
ré-humaniser, solidarité avec les vagues massives de migrants qui, trop souvent
au péril de leur vie, déferlent sur la riche et stable Europe, éducation des
enfants par le renforcement positif et la stimulation intellectuelle…
Alors,
d’où vient qu’ils provoquent un tel sentiment de rejet, d’agacement- préfère reconnaître, plus pudiquement, cet ouvrage qui,
de manière assez gauche, s’efforce de redorer
leur blason en réaction à un bobo-bashing
ressenti de plus en plus par ceux qu'il vise sur un mode presque « victimaire » ?
Sans doute
(entre autres) parce que les idées ne sont pas seules à entrer en ligne de
compte.
Est également cruciale la manière de les présenter, de les illustrer (et peut-être aussi, de
les vivre).
Qu’on le
veuille ou non, cette étrange « classe » (au demeurant floue, mal définie, non reconnue par les sociologues bardés de diplômes
adéquats ainsi que ne cessent, non sans une certaine pointe de regret, de le
souligner les auteurs, lesquels ne sont et ne restent « que » des
journalistes essayant de concilier la
rigueur de l’observation, de l’enquête « ethnologique » réelle avec
l’autodérision et avec ce ton naturellement frivole et désinvolte qui sied à
toute « coolitude » bobo digne de ce vocable) ne communique toujours
pas avec la « masse » du peuple. Ni vraiment avec celui des
campagnes, car elle demeure beaucoup
trop urbaine (même quand elle s’est éloignée, géographiquement, des villes). Ni
avec celui qui constitue les « lumpenprolétariats » de tous acabits,
en butte au surendettement ou à la vie chiche (chômeurs de tous âges,
« beaufs » pavillonnaires appelés ici périurbains, petits retraités peu « glamour » près de
leurs sous par la force des choses, gens « d’origine étrangère »
cantonnés dans des « cités-repoussoirs » de logements sociaux, Roms,
SDF, femmes précaires monoparentales…). Ni avec celui des travailleurs non surdiplômés. Ni avec celui des travailleurs manuels. Ni même avec celui des
« creative people » qui, eux, continuent de mener une vie
authentiquement bohème marginalisée, faute de sens du
« réseau » et, donc, faute de l’éventuelle reconnaissance qui
pourrait aller avec.
On regarde
d’abord les gens vivre et agir, puis ensuite, seulement après, on les
écoute ; n’est-ce pas logique ?
Versions
démocratisées de l’ancienne « Marie-Chantâal » de Jacques CHAZOT ou,
un peu plus récemment, des FRUSTRÉES croquées
par une certaine Claire BRETECHER, héritiers pêle-mêle (ça fait
beaucoup !) de la « gauche caviar », du New Age, des
soixante-huitards, du mouvement hippie et du christianisme de gauche, princes
du high-tech mondialisant couplé au « retour au terroir » et au
jardinage monomaniaque (il faut quand même le faire !), les Bobos
s’échinent à salmigondier le changement (obligatoire, si ce n’est même urgent
au vu des menaces de plus en plus noires qui s’accumulent actuellement sur
l’ensemble de notre pauvre planète) et la sauvegarde d’un système
libéral-capitaliste hautement technologique et dûment hédoniste qui a pourtant
fait amplement les preuves de sa dangerosité en termes de fossés inégalitaires
planétaires comme en termes de débâcles environnementales, en prétendant lutter
contre ses excès les plus flagrants « à petites doses », à une
échelle purement individualiste et/ou nano-locale. Prompts à contourner (gênés
ou agressifs, sur la franche défensive) les sujets trop « trash » et
trop crus qui les dérangent (les culpabilisent ?), ils veulent endiguer
les spectres de la révolution et de l’action par trop collective, ou
collectivisée. Car le Bobo aime trop sa liberté (tout en voulant recréer du
lien !).
Être de paradoxes, de contradictions, de consensus mous par excellence, il s’enferme donc dans des lubies qui lui tiennent lieu d’œillères
têtues et que l’on peut qualifier de «micro», si ce n’est même de mesquines
cependant que, d’une certaine façon, elles le rattachent au « fashion-victimisme »
bon teint. Ridicule ? Hypocrite ? Illusoire dans sa
prétention, bien affirmée, d’ « agir sur le monde » ?
Une fois de plus, on se trouve bien en peine de trancher.
Car,
justement, comment « trancher » avec quelqu’un dont le but est de
concilier tout et son contraire ?
Le « Bobo »
cherche-t-il à « sauver le monde » ou, en dernier ressort, à se
sauver lui-même en sauvant la structure socio-économique qui l’a créé ? Que
représente-t-il : comme il aimerait tant se le figurer et nous en
convaincre, une « avant-garde », ou, bien plutôt, une « tribu », une « clique »,
une « écume tribale » sécrétée par les classes moyennes et bourgeoises
qui, pour abatteuse de murs et inconditionnelle adepte du bougisme qu’elle se prétende à corps et à cris (ceci, d’ailleurs,
pour une bonne raison : elle n’a pas de racines et, de ce fait, ne sait
pas vraiment où réside sa place), n’échappe en rien à la rigidité de certaines
obsessions spécifiques, (lesquelles sont d’ailleurs, tout au long des lignes de
ce livre, appelées franchement… codes !) ?
Un exemple particulièrement notable de ces codes-phobies ? La fameuse, la gênante répulsion affichée pour
le mainsteam, plus que surprenante
chez des êtres qui, au reste, sans cesse clament, trompettent – et avec quelle singulière
gravité de ton – leur volonté de non-élitisme.
Allez, osons cet oxymore,car je ne sais comment l'éviter : le Bobo
est un représentant parfait de l’originalité grégaire.
J’ignore
si ces deux auteurs ont envie de se justifier, mais ils s’expliquent. Ils sont
Bobos, et ils tentent de nous faire comprendre ce que ça veut dire (vraiment).
Il n’empêche qu’au fil de cette lecture, je n’ai, pour ce qui me concerne, cessé de
secouer lentement la tête, dans un mélange de consternation et de vague
compassion à vrai dire assez fatiguée. Même si l’autodérision, l’humour lui confèrent un
côté qui, à mes yeux, n’a rien d’antipathique, il faut bien avouer qu’ils s’assortissent
d’un vocabulaire à peine supportable ; un authentique jargon (et pourtant,
côté mots, il me semble que j’ai l’âme passablement ouverte).
Dans quel
monde vivons-nous là ?
Où sommes-nous ?
Sur Encelade ?
Peut-on
imaginer, à mon sens du moins, plus
déconnecté de la réalité ?
Envahissants
et utopistes dans la plus belle veine enfant gâté mais n’en disposant pas moins d’appuis politiques très conséquents, totalement inconscients (ou du moins,
c’est à le croire) des priorités auxquelles, à l’heure qu’il est, l’humanité
majoritaire se trouve contrainte de faire face (exception faite, il faut tout
de même le concéder, dans le domaine de l’écologie), ils vivent pour rénover, végétaliser, « villagiser » des quartiers, des espaces
urbains où ils débarquent tels des cheveux sur la soupe, en fonction de leurs
micro-marottes.
Mais peut-on changer le monde (le sauver ?)
uniquement par le truchement de séries de « petits riens »
dérisoires, d’initiatives de détail hyper-individualisées (et au demeurant fortement marquées par le formatage
hédoniste) sans projet politique global ?
Le Bobo
veut remplacer le « tout vient d’en haut » extrême et systématique d’une
certaine tradition française fortement étatisée (depuis LOUIS XIV et COLBERT)
par un idéal d’ « initiative citoyenne » ou plutôt
micro-citoyenne. En soi, ce n’est pas forcément grave. Reste que ses
préoccupations demeurent celles de citoyens de pays ultra-privilégiés et donc,
vues sous un autre angle, ressemblent à des luxes qui insultent la misère du
monde (eh oui, n’en déplaisent à ses bonnes intentions et à ses BA, au reste
souvent sporadiques).
En un mot
comme en cent, notre jargonneux (si habile à « noyer le(s) poisson(s) ») manque d’authenticité, de consistance.
Au surplus,
dans son entreprise de gentrification (ou de mixage, comme certains préfèrent), il impose ses codes, sa vision
et sa conception du monde souhaitable à des espaces urbains où il n’est que
transplanté de très fraîche date : forme de « colonisation » ?
Loin de me
« retourner », de me convaincre du « bienfait gentrificateur »
gauchard et de sa prétendue croisade don-quichottesque contre-des-promoteurs-immobiliers-qui-n’ont-que-faire-d’un
lieu-de son âme-de son histoire, ce
livre m’a, de surcroît, à la lecture de certains de ses passages, quasi outrée
(le SDF qui « agresse l’œil » en stationnant constamment en bas de l’immeuble qu'on habite…jusqu’à
ce qu’on le découvre, par pur hasard, sur une photo d’artiste, ce qui change
tout)…au point de me faire me dire « j’ai envie de leur coller des baffes ! ».
Le Bobo
veut s’emparer de la rue, l’animer, la rendre riante, sûre, distrayante et
proprette, soit. Mais il l’aseptise.
Son capital culturel et ses appuis politiques, en lui conférant du
poids, lui permettent de s’étaler, d’occuper, de modeler l’espace comme bon lui
semble. Égoïstement. Car il est un être narcissique. Ou, plus exactement, un
être qui voudrait tirer vers lui tous les avantages du « vivre ensemble »
populaire (voire « tiers-mondien ») sans rien perdre de ceux que lui
procure, depuis X-temps, la jouissance égotiste bourgeoise. Sa désinvolture
insolente (lointaine héritière de Voltaire ?) ne nous fait guère bon
effet. Dans certains cas, ainsi que nous venons de le voir un petit peu plus
haut, elle frôle (d’un peu trop près) le franc, le dur cynisme.
P.
Laranco.
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