samedi 24 août 2024

Richard TAILLEFER (France).

 



De l’arbre en fleurs
à l’arbre mort

Te souviens-tu de ce long silence après l'orage, de
cet embrasement ultime, entre le gel et le feu, des
nuits anciennes avant le verbe, avant les maux,
avant même que l'homme ne prenne racine ?

Toutes ces voix qui murmurent à mon oreille.
Tout est vrai et faux à la fois. Routes sans fin d’un
paysage perpétuel. Ces chemins qui hésitent entre
avant et après.

Une fois perdues, les images ne se laissent plus
prendre. En flashback depuis trop longtemps.
A force de béton, de chaux et d’acier, elles nous
conduisent jusqu’à ce que nous sommes.

La plaine est loin d’épuiser sa peine.

Sans relâche, l’homme taille le territoire, jusqu’à
ce que les nervures de l’âme enfantent de leurs
ombres.

La Voie Royale, la Nationale 7, la RD 215. Tilleuls,
platanes à feuilles d’érables tracent au cordeau
la route entre les bourgs et les villes.

Qui se souvient encore des balades nocturnes en forêt
de Fontainebleau, à Barbizon, dans la clairière du
chêne Sully ?

Forêt de Ferrières, au lieu-dit de la Planchette, ce
petit pont de bois. Ici, les vapeurs de l’étang ont la
couleur du ciel.

De l’arbre en fleurs à l’arbre mort,
quelle distance nous sépare ?

La mousse colore le printemps des pierres
alors que les aiguilles des pins sylvestres
recouvrent déjà tout un désert de ronces.

Le fleuve est sombre ce matin et la nuit va tomber.
Ne pas sombrer au creux de la vague que porte le
vent qui se lève. Seul sur ma barque de passage,
égaré dans un alignement à peine perceptible, de
peupliers, saules et bouleaux centenaires, je songe
et regarde un nuage qui s’enfuit au loin.

Aucun arbre ne se ressemble. L’un masque l’autre
pour mieux se rejoindre, se confondre à la cime des
houppiers majestueux, s’élançant dans la lumière
comme les pointes d’une cathédrale à la recherche
des êtres égarés.

Il faudrait d’un seul regard entrevoir la plaine,
retranchée dans ses quatre coins, entre le gris
du ciel et cette terre arable qui court vers la forêt
profonde où nul homme ne s’invite.

Le calme est tel qu’un chant y résonne. Un oiseau
sur la branche, se pose, s’envole puis disparaît.

Sur chaque rive, ont germé les roseaux, les vastes
champs de blé. En bordure des grands chemins,
une allée de fruitiers nous accompagne aux pieds
des fermes oubliées.

Le temps n’efface pas tout.

Au loin, cloches et aboiements de chiens à l’unisson
font un tintamarre à faire dégringoler les murs.

Que savons nous de ces chemins abstraits, de
cette énigme où clignotent des étoiles à l’infini ?
Le matin, fenêtres grandes ouvertes, je m’absente,
étranger à ce que je vois ou ne vois plus. J’allume
ma pipe de Cogolin, me renverse sur ma chaise et
me libère de toutes ces pensées qui me poursuivent
comme des histoires sans parole.

Ce soir, je retrouverai notre pavillon de banlieue et
le jardin clos.

Une parcelle de nous, de toi et moi
En jachère d’horizon et de lumière.

























Richard TAILLEFER.
In On ne s'égare pas dans le sommeil des autres, Z4 Editions, 2016.









































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