lundi 8 juin 2020

Le PLUMITIF d'Edith BERTHUIT (France).




Au fond de la gorge, les eaux lumineuses de la rivière s’enfoncent entre les roches rouges vers l’océan. Au sommet de la vallée, des prairies au vert changeant, des arbres en bosquets ou en haies, d’anciennes fermes rénovées.

Un homme se promène au long des près à vaches, chevelure claire, l’œil noir. De petits bois couronnent chaque colline, prêts à accueillir, en souriant dirait-on, sa solitude qu’ils attirent. Son pas semble danser sur le chemin caillouteux.

Avant de pénétrer sous l’ombre fraîche des frondaisons, il s’assied, adossé au talus, et, contemplant les environs, lentement, il mange un quignon de pain. Il aime partager ainsi son temps entre les promenades sanitaires et le bureau enfumé où il écrit. Il aime ce paysage vallonné de pentes douces où le regard peut se perdre loin dans un moutonnement verdoyant taché du rouge des toits dispersés. Il aime ses dialogues d’aphasique avec les chevaux, les oiseaux et les écureuils qu’il rencontre au long de ses pérégrinations. Il se sent là à l’abri, tout autant qu’à l’intérieur de sa vieille maison sombre. C’est là, durant ces heures de loisirs que son imaginaire travaille le mieux et qu’il invente les histoires qui le font vivre.

Depuis longtemps, il ne voit plus le regard narquois ou méfiant des anciens du village. Depuis longtemps, il a renoncé à lier connaissance avec eux. Il restera l’étranger, le marginal, à qui l’on concède à peine le bonjour, et, dans les jours de grande liesse, un « ça vat’i bien ? » qui se veut généreux. On ne se moque pas : il vend, on le sait, on a tapé son nom sur Google. Mais on le tient à distance : ne va-t-il pas aller raconter votre vie dans ses romans ? Manquerait plus que ça, que la famille et les voisins vous reconnaissent et sachent vos manies et vos secrets de jardinage !!

Alors le plumitif évite d’attirer l’attention; il passe en silence et à la hâte, ne s’arrête au café que pour acheter ses cigarettes, et reste rivé à son ordinateur chaque nuit.





























Edith BERTHUIT,
juin 2017.






























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