mardi 16 juillet 2024

Littérature réunionnaise : Sedley ASSONNE chronique un recueil de nouvelles de l'écrivaine Claire LAURENT.

 




" D’ici et de nulle part ailleurs " :
Claire LAURENT célèbre La Réunion.






Des poètes réunionnais et français ont chanté La Réunion. Mais la fulgurance de leurs mots fait qu’ils « s’évaporent » très vite, et se perdent dans les méandres de la mémoire. Avec D’ici et de nulle part ailleurs, l’auteure Claire Laurent prend, en quelque sorte, un chemin de traverse pour dire son amour pour l’île. Et ce parti-pris, ce plaidoyer, est tellement sincère qu’on peut d’ores et déjà prédire des honneurs littéraires pour ce livre. Tellement l’auteure prend soin de s’appesantir sur le d’ici tout en laissant le nulle part ailleurs évacuer ce trop-plein d’amour qui émane de chaque page.
Ce recueil de nouvelles compte douze histoires. Comme autant de mois dans une année. Mais Claire Laurent compte sûrement en siècles, comme le chantait Joe Dassin dans « L’été indien », voire en « éternité » ou « années-lumière », car elle prend tout son temps pour composer douze…stations qui ne dépeignent nulle souffrance d’un Christ tropical, mais autant de vies messianiques qui ne se croisent qu’au soleil de La Réunion.
Et si en tout recueil de nouvelles, on peut valser d’une histoire à une autre, l’auteure choisit délibérément un tango intime pour faire partager sa passion îlienne. D’ailleurs, si la quatrième de couverture titille notre imagination, Laetitia Samlong Ah-Kiem parlant de ce « fil rouge » qu’est la Réunion, on pourrait penser que ce n’est que de la promo. Que nenni, chers lecteurs! Ce fil tient lieu de vrai cordon ombilical, et le rouge est celui du sang. Qui coule dans la première histoire. La narratrice vient de s’installer à Paris, mais elle regrette déjà qu’il n’y ait pas de soleil dans mes bagages. . Cette forte revendication n’est pas que passagère, ou émanant d'une voyageuse fatiguée du brouillard, du gris de là-bas. Non, ce regret est sincère. Et Claire l’inscrit noir sur blanc : Ici, à Paris, rien ne me ressemble. .
Ce qui est jouissif dans l’écriture de l’auteure, c’est cette façon de mettre en parallèle deux mondes, celui de La Réunion, et l’autre, étranger, dépeint comme une menace. Et quelle belle idée aussi, dans Sixième jour de dengue, de faire ce parallèle avec « Au cœur des ténèbres » de Joseph Conrad, pour décrire l’état où se trouve le personnage. Et c’est toujours pour dire qu’à tout casser, la luxuriance d’une jungle vaudra toujours plus qu’une piqûre de moustique !
On peut aussi chercher la part d’intime, d’authenticité dans ces histoires, tellement les mots de Claire sonnent (trop) vrai : Peu importait qu’il soit né d’ici ou ailleurs. Il aimait le vent qui gonflait son T-shirt, quand il surgissait en haut du Taïbit, même pas essoufflé. Il aimait le soleil et la pluie tropicale qui avaient tanné son visage et sa cicatrice au menton. Il aimait la cascade de Bras Rouge et le fond sombre du canyon de la Chapelle.
Qu’est-ce que ça pouvait bien faire qu’il ait une sœur inconnue, ou même dix, dans le Nord de la France, ou au fin fond de la Chine ? Il n’avait pas besoin de sœur. Il avait assez à faire avec un frère.
Il est sorti pieds nus dans la cour et a fixé les montagnes qui l’encerclaient comme un bouclier. La terre mouillée se glissait en petits boudins entre ses orteils. A la croisée des montants d’un poteau électrique, un bib tissait sa toile. Il a pissé sur les fourmis au pied du tamarinier. Il n’y aurait pas de dilemme. Il est rentré dans la case et a éteint le smartphone. Il a enfilé ses savates et mis son bertèl sur son dos. Aujourd’hui il monterait à la Caverne Dufour par Bras Sec. .
Tout l’amour que Claire Laurent a pour la Réunion tient dans cette phrase, ce vers, dirait-on :
Il a pissé sur les fourmis au pied du tamarinier.
Et ce n’est pas pour rien que des chiens se promènent dans ses histoires. Car, comme ce personnage de En théorie, quelle plus belle manière de marquer son territoire que de laisser l’encre (même si on écrit sur ordinateur) de sa plume sur le territoire de cette île qu’elle porte en elle ? Chez cette auteure, les personnages viennent toujours d’ailleurs, et viennent s’encrer (pour l’encre de sa plume) au littoral et aux terres intérieures de La Réunion. Comme pour faire écho au vœu de Charles Baudelaire, qui avait déjà compris tout le bonheur et la douceur « d’aller là-bas vivre ensemble ».
D’ici et de nulle part ailleurs est une invitation au voyage. Avec Claire Laurent pour guide, laissez-vous prendre par la main et pénétrez dans le fabuleux monde qu’est La Réunion. « Sa » Réunion !




Extrait :

A l’autre bout du monde, le soleil se couche. Au pays d’où je viens. Au territoire auquel j’appartiens. Une île de l’océan indien. Tropique du Capricorne. C’est l’heure où Armand allume les tortillons anti moustiques, puis enfonce la paille dans son troisième Solpak. C’est l’heure où maman rentre la voiture dans la cour en enclenchant la marche arrière. Qu’est-ce que je fais seule ici ? Les gens disent que je ne suis pas de chez eux. Ils ne comprennent pas quand je leur demande d’arrêter de se moquer de ma façon de parler…











Sedley ASSONNE.





























Source : Sedley ASSONNE.





















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