mercredi 30 mai 2018

Lecture (Sociologie, France) : Nicolas BANCEL, Pascal BLANCHARD, Ahmed BOUBEKER, "LE GRAND REPLI", La Découverte, 2015








Oubli buté. Déni buté. La France, qu’elle soit élitaire, étatique même, ou qu’elle soit « profonde », plus populaire, se cabre. La mauvaise conscience est un fardeau qu’elle peine fort à métaboliser.
Ce livre traite de la « droitisation », voire de la « lepénisation » de l’opinion publique française actuelle, laquelle s’articule autour de sa culpabilité postcoloniale.
« Agressé », vulnérabilisé par la crise économique, par la panne de l’ascenseur social, par l’Europe en voie de construction qui serait en train de le « diluer », par la mondialisation qui entraîne l’émergence de nouvelles grandes puissances asiatiques, par la présence sur son sol de populations ravivant le souvenir (revanchard) de la Guerre d’Algérie et de ses conséquences, par le vieillissement de sa population qui le rend volontiers décliniste ou de plus en plus frileux, par l’afflux massif des réfugiés en provenance des pays du Sud et, bien sûr, par les attentats terroristes qui se réclament d’un islam salafiste de plus en plus présent dans ses banlieues ainsi que par le surgissement des revendications mémorielles liées à un passé colonial en totale contradiction avec sa prétention à se poser en modèle émancipateur, en « Pays des Droits de l’Homme » et, pour finir, sur un mode indirect, par l’insoluble conflit qui embrase le Moyen-Orient depuis la création de « l’état hébreu », le coq redresse les ergots de son identité nationale, sous la houlette de « penseurs » de la trempe d’un Eric ZEMMOUR ou d’un Max GALLO. Voilà ce que ce livre tente, avec brio, de nous faire comprendre. Ses auteurs, deux historiens et un sociologue, déplorent que les recherches universitaires menées en France soient sciemment, volontairement non-médiatisées, donc ignorées du grand public à cause du courant néoconservateur, allègrement relayé par des politiciens démagogues.
Nantie d’une société de plus en plus « atomisée » et cloisonnée, où le mantra vivre ensemble résonne sans cesse, que ce soit sous la forme d’une profession de foi résolue et pleine d’espoir, ou que ce soit sous celle d’une question de plus en plus gangrenée par le doute, la France, qu’on le veuille ou non (et même s’il est « malséant » de le dire) est encore malade de son passé qui ne passe pas, c'est-à-dire de son entreprise coloniale, dont l’évocation menace l’idée positive, grandiose qu’elle aime à se construire d’elle-même pour son propre usage et à présenter au monde.
Et, pour restaurer ladite image, elle n’a rien trouvé de mieux à faire que de se tourner vers…le chauvinisme, l’exacerbation du bon vieux complexe de supériorité propre à l’ « Homme Blanc ».
L’absence de grand idéal fédérateur et d’alternative humaniste réelle, structurée au libéralisme sauvage (depuis les désillusions communiste, puis social-démocrate) entretiennent désormais, en Occident, des fantasmes de « chute de l’Empire romain » à connotation paranoïde.
L’Occident, avec ses diverses expansions coloniales, a décloisonné (de force) le monde, pour en tirer profit. Il est sorti de ce que le poète José-Maria DE HEREDIA appelait le « charnier natal » mais, à présent, comme par « retour du courrier », c’est « l’outre-mers » qui vient à son tour à lui et, parfois, lui demande des comptes. Et, en France, un consensus national en forme de chape de plomb tend à s’installer : il faut éviter, autant que faire se peut, de parler des choses qui gênent, des sujets (même historiques, même véridiques) trop sensibles. Bizarre démocratie !
Mais attention, le passé […] se venge. Plus le « refoulé » est nié, occulté, évacué dans une tentative puissante, plus violemment il est susceptible de faire retour dans le volcanisme. Tout tabou est à double tranchant.
Quoi qu’il en soit, il semble bien que ce soit,  dans le cas qui nous occupe, la PEUR (subconsciente) D’ÊTRE  PUNI EN RETOUR qui sous-tende ces démarches – classiques – de repli droitier dont l’immigration POSTCOLONIALE est devenue le principal bouc-émissaire. C’est ce qu’au travers de cet ouvrage, j’ai en tout cas perçu. Ce n’est pas pour rien que Pascal BRUCKNER a, il y a quelques années, écrit son fameux essai Le Sanglot de l’Homme Blanc, qui inaugurait la grande dénonciation de toute repentance.
Et pourtant, la colonisation, telle qu’elle fut menée par l’Europe, fut sans doute, avec le nazisme, le plus grand drame qu’ait connu l’histoire humaine. Un crime contre l’humanité sans équivalent par son ampleur, par sa violence (matérielle, morale), par son étalement dans le temps (qui se prolonge de nos jours, sous d’autres formes, bien plus subtiles).
Et l’on voudrait cautériser une telle plaie sans la toucher ?
L’on voudrait que le chirurgien qui la tamponne, la désinfecte, recoud ses bords le fasse affublé d’un bandeau sur les yeux ?





P. Laranco.






Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire