vendredi 10 août 2018

La poésie en prose de Richard TAILLEFER (France).



Mon père

Si vous le croisez dans les rues du village, aux aguets derrière l’objectif de son « Reflex Canon », ou assis à la terrasse du Kafé de France, il vous apostrophera d’un «comment ça va chef ?» avec un large sourire dissimulé sous sa moustache grise. Il est l’un de ces personnages du pays que l’on photographie volontiers pour garder un souvenir d’authenticité. Il a tout du tartarin de Tarascon, lui qui est né par la force des choses dans une pouponnière, à Moreuil, un petit bourg de Picardie.

Il suffit d’exister pour être complet.

Le temps a buriné son visage, ses yeux ont cette couleur verte des agates de son enfance. Dans son crâne, les idées plus sombres qu’une nuit d’été en plein orage, le dévorent jusqu’à la moelle. Il attend son heure, avec cette imperturbable sagesse de celui qui sait et n’attend plus rien. Il est le dernier grand témoin de ce que je fus avant d'être.

Cette angoisse qui vous prend à la gorge.

Pouvoir en rire effrontément.

Le soir, il s’en va retrouver Pépète, la petite chienne qui l’accompagne dans son indécrottable solitude. Ni l’un ni l’autre ne fermeront les paupières, de peur de ne pas se réveiller ensemble.

Près de la porte 
Je l’ai vu parfois grattant sa tête blanche

























Richard TAILLEFER.
In On ne s’égare pas dans le sommeil des autres. (manuscrit inédit)















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