dimanche 3 septembre 2023

Lecture (Paléoanthropologie) : Ludovic SLIMAK, "NEANDERTAL NU", Odile Jacob, 2022.

 

 

  

Le problème posé ici est, me semble-t-il, celui de la PRUDENCE qui doit nécessairement être de mise lorsque la recherche scientifique se lance dans l’exploration des périodes archéologiques les plus anciennes et les plus éloignées de l’Histoire humaine.

Ludovic SLIMAK se présente, en tout premier lieu (cela lui importe beaucoup) comme un chasseur de néandertaliens, un fouilleur, un homme de terrain marqué par son contact direct, prolongé, profond, quasi intime, avec les couches géologiques et la « matière » fossile.

C’est au nom de cette « matière », de cette connaissance qu’il en a, de cette indispensable prudence qu’il tente, dans ce livre, de « déconstruire » (ou, à tout le moins, de bousculer) une certaine version de son sujet d’étude désormais hautement popularisée (notamment par de multiples ouvrages, articles et documentaires à fins de vulgarisation scientifique fleurissant dans le monde occidental depuis maintenant presque quelques cinq bonnes décennies) et visant à humaniser , à « sapianiser » à toute force la créature appelée par nous Néandertal, afin de la réhabiliter (comme si elle avait commis une faute !) suite au vraiment vilain portrait que s’était permis de dresser d’elle la tradition préhistorienne issue de ses toutes premières découvertes, au XIXe siècle, en Europe de l’Ouest (et notamment Marcelin BOULLE).  

Hélas, suivant une tendance bien propre à notre nature humaine, il semble qu’on ait navigué, une fois de plus, d’un extrême vers l’autre. Du gorille (ou yéti) hirsute en diable, armé d’un grossier gourdin menaçant ramassé n’importe où et doté d’une face cauchemardesque au néandertalien dans le métro (capable de jouer de la flûte, de dessiner sur les parois, de porter colliers et autres parures […]), il y a quand même une sacrée marge.

Mais, entre-temps, la sensibilité occidentale avait changé. Le regard porté sur les autres civilisations, et en particulier sur celles des « peuples premiers » (ex « peuples primitifs ») restés chasseurs-cueilleurs et largement victimes de génocides et d’ethnocides coloniaux ou post coloniaux n’était plus la même (du moins officiellement et aux yeux des franges les plus « éclairées »). Et Néandertal bénéficia aussi (quoique à titre posthume) de cette remontée en estime. On l’avait rabaissé, sous l’influence de préjugés infects et devenus indéfendables. Il était grand temps de lui (re)conférer ses lettres de noblesse.

Reste un sérieux hic, que SLIMAK rappelle diligemment à notre souvenir : sur Néandertal, ON NE SAIT RIEN. Ou un nombre infime de choses, qui n’arrivent pas à nous « parler ».

Ses squelettes complets, pour l’instant, sont toujours remarquablement rarissimes, très peu nombreux ses sites (dont nombre d’entre eux, les premiers, découverts au XIXe siècle, se sont trouvé fouillés de manière impropre, sans la rigueur voulue et actuellement exigée – ce qui a fait des collections muséales disponibles de véritables « foutoirs »). Sur ces derniers, les périodes considérées sont trop lointaines dans les temps (au moins 42 000 ans) pour qu’il n’y ait pas une énorme part d’ambigüité en ce qui concerne l’interprétation des trouvailles archéologiques (cas de suspicions d’anthropophagie, cas de la mystérieuse culture tardive dite Châtelperronien, cas de l’art et de la pensée symbolique néandertaliens…). Et ne parlons pas, au surplus, des énormes fourchettes temporelles que réserve la datation au carbone 14, sources d’une imprécision de taille.

Certes, on peut se faire une certaine idée de son apparence physique. On a reconstitué certains de ses environnements et identifié leur flore, leur faune. On connait même ses manières de chasser ainsi que les gibiers qui étaient ses cibles (grands herbivores pour la consommation alimentaire et grands carnivores, sans doute dans le but de se vêtir de leurs peaux). On a la certitude qu’il maitrisait le feu, utilisait l’épieu et taillait le silex, dans un style qui lui était totalement propre. Reste que ce style ignorait toute volonté de standardisation et ne varia pas durant tout le temps de sa présence sur cette terre, à savoir un peu plus de 400 000 ans (d’après l’estimation actuelle), ce qui n’est tout de même pas rien.

A cela, il faut ajouter que, somme nous le signale SLIMAK :

En avril 2021, la revue Nature Molecular Psychiatry publiait une étude qui resta relativement peu relayée au sein des grands médias français. Ces recherches visaient pourtant à décrypter l’émergence de la créativité humaine en se focalisant sur trois des principaux aspects de la personnalité : la réactivité émotionnelle, la maitrise de soi et la conscience de soi. L’étude révèle chez les néandertaliens l’existence de structures génétiques proches de celles reconnues chez les chimpanzés quant à la réactivité émotionnelle et une position intermédiaire entre chimpanzés et humains modernes quant à  la maitrise de soi et à la conscience de soi, impactant directement leurs potentialités créatives, leur conscience de soi et leur comportement prosocial.

Néandertal n’était pas nous. Il ne pouvait pas être nous, cela tient, pour l’auteur, de l’évidence. Et cela souligne à quel degré ce cousin, tout de même assez lointain - puisque 500 000 ans de divergence, de séparation géographique radicale et de dérive génétique le tenaient à distance de nous sur l’arbre généalogique (génétiquement reconstitué) des grands primates (et cela non plus ne peut pas avoir été sans impact important sur les manières d’être au monde des deux espèces) - et maintenant si célèbre, voire si populaire nous embarrasse.

Toutes ces polémiques paléoanthropologiques nous en disent, en fait (et comme de juste) bien plus sur nous, Sapiens, que sur lui.

S’appuyant sur les constatations de l’ethnographie, de l’éthologie animale et de la paléogénétique autant que sur ses observations et ses déductions propres, acquises tout au long de son substantiel parcours de chercheur plutôt que sur certaines interprétations (pour ne pas dire extrapolations) archéologiques qui pourraient fort bien se révéler, à terme, trop précipitées, Ludovic SIMAK a également le mérite d’écrire dans un style agréable, fluide et pimenté d’une bonne dose d’humour. Pour ma part, j’ai lu cet ouvrage très rapidement, avec plaisir, comme une sorte de « page-turner ».

 

 

 

 

 

 

P. Laranco.

 

 

 

 

 

 

 

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