On dit que-tra, que-tra du peuple. Il
est inculte, il est borné. Il serait « jaloux », mesquin et, bien
sûr, « réticent à apprendre ».
Sauvageons/Bidochons. Même surdité « méchante ».
Mêmes cas « désespérés ».
Mais que dire des bourgeois, pour
qui le monde se divise si facilement entre les gens « biens » et tous
les autres ?
Sans le « sauvageon » ou
le « beauf » bien gras, se sentiraient-ils à ce point auto satisfaits,
obstinément convaincus de leur (soi-disant) « valeur », de leur
inaliénable bon droit, de leur indispensable rôle de « locomotives »
du progrès planétaire (lequel, soit dit en passant, est en train de nous mener
tous droit dans le mur) ?
Dites-moi, quand il y a, d’un côté
de la plaque, des « gens bien », et, de l’autre côté, d’incurables « épouvantails »,
comment nommer ça ?
Du manichéisme ?
Du racisme (mal déguisé) ?
Quand une domination s’établit
de manière durable et qu’elle repose sur un important fossé d’ordre militaire,
financier et technologique, elle se trouve assimilée à un « modèle »
de nature irrésistible.
Les gens – et les
dominés eux-mêmes - finissent par intégrer l’idée que la situation qu’elle a
instaurée est « dans l’ordre des choses », comme vouée à une sorte d’éternité.
Mais l’historien, lui,
sait (ou devrait savoir) qu’aucune civilisation, même (puissamment) hégémonique
sur une longue période, n’est éternelle (étant donné que, plus généralement
encore, l’éternité n’est qu’un rêve, qu’un mythe, vu que notre Univers physique
lui-même est voué au dynamisme, à la perpétuelle évolution, au cycle « création-maintien-destruction »
et à l’entropie).
De cela, l’eurocentrisme
et la « modernité » eux-mêmes se devraient de tenir compte.
Pas plus qu’il n’existe
de culture « élue », il n’y a de civilisation, si brillante soit-elle,
dont la durée de vie soit acquise par avance en vertu d’une sorte de « prédestination »,
d’ « adoubement » divin qui vaudrait « récompense »
pour ses mérites. Plus simplement, toute civilisation cherche à se convaincre, par
méthode Coué, qu’elle est « au-dessus » des autres.
L’Egypte pharaonique
totalise, à ce jour, sur Terre, la longévité civilisationnelle la plus marquée
(3 000 ans d’âge, sans transformations majeures). Et même cette longévité,
forcément génératrice d’une identité extrêmement forte, ne l’a pas empêchée, au
bout d’un certain temps, de disparaître.
Actuellement, les plus
vieilles civilisations humaines se trouvent être l’Inde et la Chine.
L’Europe de l’Ouest
(qui ne doit d’ailleurs sa civilisation qu’au Moyen-Orient et à la Méditerranée)
n’a derrière elle que cinq siècles de poids civilisationnel (certes, très
lourd).
Je crois que ce que je déteste le
plus chez l’être humain, c’est son besoin de mépriser son congénère pour se
sentir mieux. Et ce besoin, quoi qu’on en dise, je ne connais guère beaucoup de
gens qui en soient réellement exempts. Se sentir mieux, hélas, dans l’esprit de
bien des créatures humaines, c’est se sentir mieux QUE [X ou Y]. Car, à la base, la comparaison régit
l’Homme (du fait de sa nature mimétique). Et cela vaut, bien sûr, également au
niveau groupal, collectif, où l’on nomme cela « esprit de clocher », « chauvinisme »,
« nationalisme », « complexe de supériorité » (la liste n’est
sans doute pas close).
La plupart du temps, ce (dangereux) « péché »
prend racine dans l’enfance ou, plus exactement, dans le rapport enfant/adulte.
L’adulte éduque, forme et informe l’enfant, lui impose son autorité. L’enfant
le « singe », l’aime, l’admire, l’envie, en dépend durant une longue
période, qui marquera à jamais son être.
Plus la conscience de soi de l’enfant
émerge, plus elle se cristallise (pour une bonne part, nous venons de le voir, par
et dans le besoin de protection et la mimesis), plus elle prend conscience de
cet extrême rapport de sujétion aux adultes tutélaires. C’est à l’adulte d’aider
le jeune à construire sa confiance en lui-même de façon à ce qu’il ne sombre
pas dans le mal-être (appelé « névrose » par les psys). Malheureusement,
la plupart des adultes, à ce jeu, manquent de savoir-faire. Victimes eux-mêmes
de leurs propres blessures d’enfance, de leur ignorance en matière d’éducation
et/ou de leur défaut d’empathie, voire de leurs préjugés, ils commettent des
maladresses, dont certaines peuvent s’avérer très lourdes (et, ici, encore, je
ne parle pas des enfants du non-désir, voués à être des « mal aimés »,
en danger d’abandon, de maltraitance). Et les enfants ne possèdent pas tous,
loin s’en faut, le même potentiel de résilience.
Les « moi » fragiles (ou
fragilisés) sont, souvent, enclins à se « rehausser » en dominant ou en méprisant des êtres qui ne leur
ressemblent pas (ou même des gens qui
leur ressemblent).
A titre d’exemple, chacun connait le
« complexe de l’homme petit » dont souffrit, entre autres, Napoléon
BONAPARTE (par ailleurs très doué intellectuellement, et extrêmement énergique),
et le délire « aryen » et « surhommaniaque » d’un petit
homme plutôt fluet aux cheveux très noirs, au physique et aux origines sociales
désespérément quelconques, si quelconques qu’il se retrouva même, il fut un
temps, guère très loin du caniveau.
Dans l’œil d’un tout
petit enfant, les adultes sont des surhommes, qu’il aime, qu’il admire et qu’il
craint.
Mais qu’il peut,
également, très bien apprendre à manipuler.
L’évolution, dans les grands groupes
humains (qui existent depuis la « Révolution néolithique », laquelle
a mise en place la division du travail, d’où procèdent les sociétés
hiérarchisées) se fait toujours par les élites, c'est-à-dire à partir du « haut »
vers le « bas » de la pyramide sociale. Certes, il y a sans doute
toujours eu des flambées de révolte plébéienne spontanées, mais, la plupart du
temps, elles manquaient d’organisation et ne s’appuyaient guère sur un socle d’idées
bien structurées, mais plutôt sur des bouffées de « ras-le-bol », de
lassitude générale. Même dans le cas des merveilleuses « Idées des
Lumières » (comme l’égalité en droit de tous les êtres humains), ce sont
des « têtes pensantes », par conséquent des gens qui avaient le temps
et les moyens de réfléchir, de se poser des questions sur leur propre société,
à savoir des membres des classes « supérieures » (petite bourgeoisie
incluse) qui les ont émises (VOLTAIRE, ROUSSEAU, MARX, ENGELS, LÉNINE, PROUDHON…) et non des membres des « masses » laborieuses, écrasées par le
travail, le souci obsédant de la survie quotidienne et l’analphabétisme durant
de longues époques.
Le rêve d’élimination de tout
privilège, de tout élitisme, voire des élites elles-mêmes a été pensé par des « esprits
originaux et libres » révoltés par l'injustice, certes, mais aussi des esprits qui jouissaient de
la liberté (matérielle et mentale) que seul peut procurer un certain statut. Dans
le "bas" peuple, l’insoumission a dû faire très longtemps son chemin (ainsi que le
prouve, par exemple, le mouvement résistant conservateur « CHOUAN »
des paysans de l’ouest de la France pendant la Révolution de la fin du XVIIIe
siècle).
On n’a peut-être pas suffisamment
médité sur ce paradoxe, qui, certes, ne simplifie pas les choses.
De nos jours, tout
idéalisme est jugé proche de la folie. On préfère orienter les passions des rêveurs
vers le football, ou la musique, et s’arranger pour qu’elles ne se fixent que
sur ceux-ci.
Qui t’aime pour toi ?
Qui t’aime, en dernier ressort, pour
autre chose que ce que tu lui apportes ?
Chaque instant, chaque
miette d’instant est tout à la fois révolution et équilibre. Inertie et
mobilité.
Je ne sais pas, mais il m’arrive
assez souvent d’avoir l’impression que les Français ont un certain mal à
admettre que le monde entier ne soit pas français.
Comme si les mots « universel »
et « Français » étaient en quelque sorte, dans leur optique, des
synonymes.
L’autonomie est un courage.
La véritable maladie de l’Afrique
noire dite « francophone » est, encore, toujours, la colonisation.
Bercer les gens de l’illusion
qu’ils sont un monde à eux tout seuls. Qu’ils se « suffisent à eux-mêmes »,
sans appartenir à aucune société.
Ainsi leur fait-on –
habilement – perdre tout intérêt pour ce qui ne les concerne pas directement. Ainsi
les détourne-t-on de tout sens de l’observation et de la réflexion de type « sociologique »,
toujours potentiellement génératrices de remise en cause.
Il est bien un fait
que, dans les pays où l’éducation se généralise, le risque que les masses s’interrogent
et interpellent le système (ploutocratie, misogynie, néo-colonialisme) est de
plus en plus grand.
Il faut donc tout
faire pour que les gens continuent à ne se soucier que d’eux-mêmes et, à la
rigueur, de leurs cercles affectifs ou utilitaires les plus proches (rejetons,
conjoint, amis, voisins, collègues de travail).
Et voilà qu’auprès de
celui du nombril, l’idéal du « village » revient en force.
Mais attention, qui
dit « village » dit également fort "entre-soi".
Le terrier aveugle la
taupe.
Le plus grand consommateur d’énergie
de notre corps est notre cerveau. Car, voyez-vous, penser fatigue. Au même
titre que n’importe quel effort physique, et parfois même, peut-être, davantage.
Aussi la paresse d’esprit est-elle
encore plus répandue que la réticence corporelle à produire des efforts.
Le changement est
aussi une perte. Il peut être vécu comme tel. Il nous ramène au temps qui
passe, à l’éphémère de toute chose.
Cela, les gens qui
prennent de l’âge ou qui sont carrément des vieillards le savent bien, et la
chose explique beaucoup de leurs comportements, de leurs états d’esprit.
Je crois en la Méditerranée.
Par-delà ses clivages linguistiques,
religieux, historiques (anciens comme actuels), je suis persuadée qu’elle forme
un véritable ensemble culturel, bien antérieur à l’admirable Empire romain
(dont je salue au passage l’heureuse expression « Mare Nostrum », qui
prit tellement bien ce fait en compte).
La lecture de l’ouvrage de l’anthropologue
française Germaine TILLION, LE HAREM ET
LES COUSINS (1966) m’en a, déjà depuis assez longtemps, fortement convaincue.
Il n’a, certes, fait qu’apporter de l’eau au moulin de ce qui, chez moi, était
un vieil instinct.
La Méditerranée fut, et est encore.
Pour le meilleur et pour le pire.
Elle constitua un berceau et un
vecteur de civilisation. Pour moi, c’est un pays. Plus qu'un monde, un immense pays d’eau et de
lumineux rivages, à cheval sur trois continents, mais qui n'en eut jamais conscience. Et à qui l’Europe « barbare » dut tout.
C’est elle qui, dès le Néolithique
(- 9 000 ans), importa, du « Croissant fertile », c'est-à-dire du
Moyen-Orient (Palestine, Anatolie, Mésopotamie), l’agriculture, l’élevage, puis,
plus tard, le commerce, l’urbanisation, suivis d’assez près par le calcul et par
l’écriture, d’abord consonantique. La Grèce antique fut une héritière directe
de ce long processus. Un processus qu’elle transmit, par la suite, à la
péninsule italique, laquelle finit par constituer l’Empire romain, l’EMPIRE MÉDITERRANÉEN ainsi que j’aime mieux le dire, avec tout ce qui s’ensuivit.
P.
Laranco.
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