Je me peuple moi-même, de mon propre délire. De tous les
spectres qui parlent à travers moi. De tous les non-dits de ces lignées d’inconscients ;
d’âmes en peine qui traînent leur content d’errance, de blessures. A vrai dire,
je ne sais jamais qui, par moi, parle. Et encore moins, bien sûr, qui, par moi,
couche des lignes. A vrai dire, je ne crois guère en la notion de « moi ».
Mon « moi », si tant est qu’il existe, est pluriel. Un spermatozoïde ;
un ovule. Un noyau. Un codage ADN. Des interconnexions. Une organisation.
Un assemblage d’os, de muscles, de tendons, de chairs, de
membranes, de neurones, et d’organites en symbiose. Qui ont, mais seulement
pour un temps, accepté de travailler ensemble, pour fabriquer une unité. Mais,
à chaque instant, la fourmilière peut se disjoindre. Un échange d’informations
peut s’interrompre, ici ou là. Une velléité, d’abord occulte, d’indépendance
peut se faire jour. Il suffit, par exemple, du désir de rupture, du « caprice »
individualiste d’une cellule. Les médecins nomment ça « un cancer » ;
ils se trompent. Allez savoir s’il ne s’agit pas, tout simplement, d’une subite
flambée de « marronnage », d’une bouffée de « ras-le-bol »
que ressentirait un individu-cellule.
La conscience, nous affirme-t-on, est ce qui chapeaute notre
unité ; ce qui nous convainc que celle-ci existe. Car c’est bien grâce à elle –
n’est-ce pas ? – que l’on parvient à se sentir SENTIR. Je sais et je maintiens qu’avant, bien avant de
penser, l’ont SENT. L’on sent, l’on pré-pense, après quoi l’on se met à penser.
Et voilà tout. De cela, il résulte que la pensée ne saurait constituer une
preuve. De cela, il résulte que le « Je pense, donc je suis » de
Descartes sonne passablement faux. Si l’on le suivait, les animaux, en effet, n’existeraient
point.
La Vie, depuis qu’elle existe sur la planète Terre, réagit,
SENT. Et au reste, les éléments inanimés eux-mêmes inter-réagissent. C’est dire
si les choses, puis les êtres n’ont pas attendu l’émergence de la « pensée »
(tels que nous, humains, la concevons) pour être, ni surtout pour « penser »
(n’ayons, là, pas la moindre peur des mots et des concepts) à leur manière. L’Univers
ne reflète-t-il pas l’organisation d’une pensée ? D’une « pensée » dont (jusqu’à un certain point) seules nos mathématiques s'avèrent en mesure de rendre compte ?
La nature et la "définition" de la « pensée » restent
encore on ne peut plus mystérieuses, donc problématiques.
Pour ma part, je crois (d’instinct) que l’Être est le résultat d’une
forme de pensée. S’il est « auto-organisé », disons qu’il se pense
lui-même et se crée tout seul, dans une sorte d’autosuffisance (ce qui est
parfaitement concevable). S’il est « holographique », en revanche,
nous dirons qu’il a été préprogrammé, donc pensé et insufflé par une origine « extérieure ».
Quel que soit le cas, de toutes façons, la « pensée »
est omniprésente. Préexistante à ce qui est.
Pour ma part, que serais-je sans la « pensée » qui a
organisé mes chairs ? Que serais-je sans celle qui s’est substituées (ou,
pour être plus exact, superposée) à mon « inconscience » spontanée, originelle,
basique, mais cependant "pensante" (à un autre niveau) ?
A cette seconde « pensée », je dois de me percevoir « double »,
ce qui est curieux.
Corps et âme…Dualisme…Comme si deux êtres, deux niveaux d’être
coexistaient en moi. L’un, alourdi par la matière. L’autre, éthéré tel l’Esprit
saint.
L’un, périssable. L’autre, "éternel".
De cela, j’ignore quoi penser. Peut-être est-ce une supercherie.
La matière est énergie (EINSTEIN). L’énergie est peut-être
pensée, ou émanation (à moins que ce ne soit transformation) de la pensée. Ainsi,
corps et âme, serions-nous constitués de pensée, de bout en bout.
Comme les Dieux hindous, la pensée aurait divers modes d’expression.
Qui sait combien ?
***
Parfois, je me représente ma propre pensée, ma propre « âme »
comme un espace vide. Un appartement, une demeure où j’aménage, qu’il me faut meubler.
Je dois la meubler ; la peupler. Car je ne supporte pas son
silence.
Car je ne sais que faire, de quelle manière m’accommoder de sa
vacuité, qui m’interloque. Le Vide et le Plein. Là est la question qui se pose,
s’interpose. Comme toujours.
Ma propre pensée est une page blanche. Une espèce de Sahara
blanc.
Sa quintessence est un désert. Dont la beauté fuse, par flashes.
Par décharges au coin de l’œil. Par déchirures du champ de vision ; en
retrait ; dans sa périphérie.
Le fond de ma propre pensée. Est-ce l’âme exprimée par mon corps ?
Celle exprimée par l’Univers ? Celle exprimée par l’infini ?
Le fond de ma propre pensée. Désert blanc. Vastitude crayeuse. Aveuglante.
En lisière de tout.
Stroboscopes. Flashes. Couperets abrupts.
Patricia Laranco
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